Chapitre 5 : le sauveur

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On hisse ma tête hors de l'eau. J'hâlette, je suffoque, je tente coûte que coûte de reprendre ma respiration. Je n'ai jamais touché une eau aussi froide – en tout cas, c'est l'impression que ça me donne. On y aurait mis des glaçons, ça n'aurait pas été différent. Je sens mon visage se serrer sous l'effet de la fraîcheur. Je grelotte presque.

Mais je ne vais pas grelotter longtemps. Déjà, on me sollicite. On ne veut pas me laisser tranquille. C'est logique, je ne suis pas là en vacances.

— Sauve-toi. Ne reste pas ici. Tu dois vivre.

Je secoue la tête pour évacuer les gouttes d'eau dans mes yeux et regarde autour de moi. La voix provient de mon dos, donc du bourreau chargé de me noyer dans leur Aquarium. Elle n'est plus étouffée par le masque qu'il portait avant mon immersion. Elle a retrouvé son humanité.

Je veux le regarder mais autre chose attire mon regard : les deux geôliers désagréables et moqueurs. Ils n'ont pas quitté leur banc d'observation. A vrai dire, ils ne le quitteront plus de leur vivant. Ils sont morts. Effondrés l'un contre l'autre, un trou de balle marque leur front d'une petite plaie circulaire colorée, dont s'échappe un mince filet de sang venu ruisseler le long de leur arête nasale. Ils n'ont rien vu venir. Leur fin a été plus rapide que la mienne.

Le bourreau détache mes chaînes et retire mes poignets des bracelets grossiers. J'aime ressentir le soulagement de ma peau libérée de toute entrave. Depuis mon réveil, c'est la première fois que je me sens véritablement libre.

Le bourreau me redresse alors et me retourne sans brusquerie. Il m'oblige à lui faire face. Il a retiré sa capuche et sa grosse paire de lunettes aux verres opaques. A son cou pend un masque avec respirateur, sans doute l'objet à l'origine de sa voix grimée.

Je peux le détailler rapidement quand nos regards se croisent. C'est un homme dans la fleur de l'âge, une petite quarantaine d'années, grand, large d'épaules. Ses cheveux courts semblent bénéficier d'une coupe militaire. Les traits de son visage sont doux, bien qu'accentués par des événements dont je ne connais rien. Au premier coup d'œil, il ne semble pas avoir eu une vie facile.

Le temps joue contre nous. L'heure n'est pas aux embrassades. Quand, comme moi, on est sur le point de quitter un confinement, on pare au plus pressé. On limite les bisous et les câlins.

— Qui êtes-vous ?

— Je m'appelle Emmanuel. Je suis celui qui va te permette de sortir de cette emprisonnement. Alex, c'est ça ?

Il baisse les yeux vers l'écusson à ma poitrine où le diminutif est écrit. Je grimace et hausse les épaules.

— Oui, il parait. Apparemment, c'est mon nom. Pourquoi suis-je ici ?

A son tour de hausser les épaules.

— Je ne sais pas, je sais juste que tu dois filer.

— Pourquoi décider de me libérer ? Un bourreau tel que vous doit en exécuter des dizaines par jour.

Il secoua la tête avec un sourire amusé.

— Tu te trompes sur toute la ligne. Premièrement, les bourreaux n'exécutent pas les prisonniers par dizaines tous les jours. Sinon, ça ferait longtemps qu'il n'y aurait plus le moindre habitant dans cette cité. Nous ne sommes pas si nombreux que tu sembles le croire.

Je ne faisais que spéculer. Je n'ai toujours aucun souvenir.

— Je ne semble pas le croire. En fait, je ne sais pas. J'ai perdu la mémoire.

Une lueur d'effroi passe dans son regard.

— Je vois... C'est peut-être un effet secondaire du nouveau procédé : le Processus Z. La propagande des Armateurs nous a dit qu'il allait tout révolutionner. Avec lui, nous vivrions enfin en paix. Apparemment, c'est une grosse blague.

Emmanuel a précisé que je me trompais à plusieurs niveaux. Je l'invite alors à reprendre ce sujet.

— Deuxièmement ?

— Deuxièmement, je ne suis pas bourreau des Armateurs. Je me suis déguisé, je me suis fait passer pour l'un d'eux. C'est pour ça que je suis accoutré de la sorte.

Il désigne ses lunettes et son masque respiratoire.

— Pourquoi venir me sauver ?

— Je ne sais pas, mais j'en ai reçu l'ordre. Alors, je le fais.

Apparemment, je compte pour quelqu'un au point de risquer des vies afin de me libérer. Je dois en apprendre davantage à ce sujet.

— Qui a donné cet ordre ?

Des coups sourds cognent contre la porte empruntée par mes gardes et moi quelques heures avant. On tente de l'enfoncer. Déjà, elle affiche des marques d'impact. Je ne sais pas si on utilise un bélier pour la forcer, mais elle ne tiendra pas longtemps, même verrouillée.

— Alex, tu dois fuir !


A suivre dans le chapitre 6 : la fuite.

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