Chapitre 16 : la planque de la rébellion

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Christian me mène à travers de nombreuses coursives. Malgré son jeune âge, il connait les lieux sur le bout des doigts. Je le lui fais d'ailleurs remarquer.

— Tu connais les lieux sur le bout des doigts.

— Oui, je connais les lieux sur le bout des doigts.

Sa remarque fait presque preuve d'insolence. J'insiste.

— Tu n'en diras pas davantage.

Il sourit tristement.

— J'ai passé toute ma vie sur ce rafiot, à passer d'un confinement à un autre. Tu trouves ça enviable ?

J'hésite.

— Tu sous-entends qu'il n'en a pas été de même pour moi ? Qui suis-je ? D'où est-ce que je viens ?

— Je te l'ai dit, je ne sais pas. Mais la cheffe de la LUPOR le saura.

Nous empruntons parfois des chemins de traverse. Il possède plus d'un badge d'accès pour franchir des portes pour lesquelles il ne possède pas d'autorisation officielle. Ils ont dû être fournis par la LUPOR. Quand une carte magnétique ne peut fonctionner, il utilise une clé. Nous passons par des locaux de maintenance, de petits espaces remplis de matériels destinés à la propreté du navire, mais surtout nous longeons un grand nombre de cabines d'habitation.

Nous nous éloignons franchement de la promenade où on a voulu procéder à mon interpellation. La cabine de Christian n'est elle-même plus qu'un lointain souvenir. Pourtant, nous ne changeons pas de pont. Nous restons au sein de la même classe sociale, seulement nous traversons des zones de confinement juxtaposées. Par conséquent, en dehors d'une limite entre niveaux sociaux et étages, il existe aussi des séparations entre quartiers voisins.

Nous marchons au moins une heure, ou deux, mais rien ne change.

— Tout est vraiment fait pour isoler les gens les uns des autres.

— C'est la nature même d'une dictature.

— On ne rencontre jamais les habitants des quartiers voisins ?

— Tout est organisé pour ne fréquenter qu'un nombre réduit d'individu. Ça évite le mélange des idées et les potentiels soulèvements. Tout est organisé pour que chaque quartier soit auto-suffisant, au moins dans ses besoins de base. Quelques étages de cabines, des commerces élémentaires, une poignée d'établissements destinés à la distraction. Voilà le tout.

Je n'ose pas imaginer ces enseignes.

— Tu veux dire qu'il y a de quoi s'amuser ?

Il ricane.

— Comment appellerais-tu un cinéma diffusant uniquement des films de propagande pour les Armateurs ? Ça véhicule un unique message : le monde est redoutable mais nous sommes à l'abri à bord, protégés par les Armateurs des dangers extérieurs.

Je n'ai pas vu de terres émergés depuis la promenade, mais j'imagine que de tels endroits peuvent exister.

— Quels dangers précisément ?

Christian ricane.

— Pour tout te dire, nous ne savons même pas. La plupart des gens ne se pose pas la question. Tous sont tellement endoctrinés depuis toujours qu'ils acceptent les informations fournies par les Armateurs. Ils leur font confiance car ils n'ont pas le choix. Ils se sont imposés comme nos guides spirituels et politiques. Ils régissent la vie à bord et légifèrent. Ils rassemblent les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. Les mesures d'urgence passent discrètement, soi-disant pour un temps, mais finissent par perdurer.

Je m'offusque.

— Ce n'est pas digne d'une démocratie.

— Si tu pensais être dans un tel endroit, détrompe-toi.

— Qui sont ces Armateurs tant évoqués ?

Il hausse les épaules.

— Ceux qui le savent ne sont pas nombreux. J'imagine qu'il y a un roulement, les mêmes personnes ne pourraient pas diriger pendant des décennies. Mais ce n'est qu'une spéculation. Maintenant, fais silence, nous arrivons prêt d'une zone sensible, nous approchons de la planque de la LUPOR. Tu vas pouvoir rencontrer notre cheffe...

Je fais silence. Je neveux pas rater ça.


A suivre dans le chapitre 17 : la cheffe de la LUPOR.

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