Chapitre 13 : la traque

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Je n'ai même pas eu le temps de profiter du paysage surprenant que déjà, une sirène sourde retentit et attire l'attention des passants. Ils lèvent la tête vers le haut-parleur le plus proche et tendent l'oreille à la petite voix féminine mais robotique chargée des annonces fatidiques ou cruelles.

— Attention. Une personne en fuite a été signalée sur ce pont. Le signalement exact suivra. Nous vous rappelons que selon les lois en cours à bord, tout citoyen est prié de signaler aux représentants des Armateurs sa présence. La traque est un devoir civique. Souvenez-vous, l'absence de participation aux exigences collectives est punie par la peine capitale la plus sévère.

Je grommelle. Personnellement, je me souviens très bien de leurs méthodes d'exécution : l'Aquarium reste gravé dans ma mémoire récente. Il est en bonne place : entre ma cellule, le conduit d'entretien électrique, l'usine énergétique et l'ascenseur !

J'avance de cauchemar en cauchemar, ma parole !

Je marche alors d'un pas rapide dans l'une des deux directions, au hasard. Je ne vois pas de différence. Elles se valent bien l'une comme l'autre. Ne connaissant rien à l'endroit, je ne sais pas où me rendre. Puis-je espérer un secours quelconque ? Existe-t-il un mouvement d'opposition à cette dictature claire des Armateurs ? A ma connaissance, tout gouvernement oppresseur voit se dresser une mouvance rebelle. Je ne sais pas sur quelle base je me repose pour dire cela, mais ma mémoire défaillante valide cette théorie sans s'offusquer. Est-ce le cas ici également ?

Je vérifierai plus tard, si l'occasion se présente. De toute façon, je n'ai pas les moyens d'accéder à cette information. Dans l'immédiat, je dois m'éclipser loin des caméras de sécurité.

Je presse le pas dans la direction choisie, pendant que la voix artificielle égrène des informations à mon propos. Elle détaille mon apparence physique avec précision, jusqu'à donner mon nom – en tout cas celui noté sur ma tenue d'incarcération. Puis, elle aborde mes méfaits et en rajoute une couche. C'est malhonnête !

— Alex est une personne coupable de nombreux crimes. Depuis son évasion, Alex compte de nombreux meurtres à son actif. Alex a assassiné le bourreau chargé de l'exécuter, les gardes affectés à sa surveillance, un intendant à l'entrée du complexe pénitentiaire et plusieurs techniciens de l'équipage sur sa route vers ce pont.

Certains sont morts, en effet, mais des mains d'Emmanuel, le bourreau. Quant aux autres, je ne les ai jamais croisés !

La voix continue encore à déblatérer, et met en garde les habitants contre moi, comme si le descriptif de mon palmarès ne suffisait pas déjà.

— C'est un individu extrêmement dangereux. Son appréhension doit être effectuée dans les plus brefs délais. Le citoyen qui favorisera son arrestation se verra attribuer un bonus sur son compte social, afin de pouvoir augmenter ces chances de gagner en niveau.

Je ne comprends pas cette référence. Il faudra que je me renseigne à l'occasion. Un compte social, à quoi ça peut bien rimer ? Les habitants sont évalués sur leur sociabilité ? Quelle horreur.

Sur la promenade, tous les regards se tournent progressivement dans ma direction. Tous m'identifient les uns après les autres. Il faut dire que je manque de discrétion dans ma tenue et le descriptif physique de la voix artificielle n'a rien arrangé. Je dois fuir.

Je me mets à courir droit devant moi mais je comprends vite que cette zone dégagée, ce pont ouvert sur le paysage océanique, n'offre pas une liberté de mouvement à toute épreuve. Même, au contraire, il ajoute une nouvelle forme de confinement particulièrement cruelle.

En dehors de cette allée sans végétation, seule des portes permettent de s'échapper. Néanmoins, elles ne sont pas faciles d'accès. Elles mènent aux logements du quartier et sont verrouillées. Elles nécessitent un badge pour s'ouvrir. Sans ce sésame, on me coince à la vue de tous.

Quelques habitants semblent pris de zèle. Après le choc de l'annonce, je les vois se ressaisir. Certains craquent leurs doigts en serrant les poings, d'autres observent leurs voisins à la recherche d'un soutien. D'autres encore dansent sur leurs pieds comme s'ils s'apprêtaient à s'élancer. Je lis dans quelques regards une sombre détermination. On va bientôt se jeter sur moi.

Je n'ai pas envie de tomber par-dessus bord lors d'un faux mouvement, alors je longe les façades avec anxiété. Tout peut arriver, les menaces sont omniprésentes.

Soudain, une mainjaillit par une porte voisine et me saisit. Je tente de me dégager mais lapoigne est particulièrement forte. Je n'y parviens pas. L'effroi m'envahitalors quand cette main me tire vers l'obscurité de l'ouverture où elle estapparue...


A suivre dans le chapitre 14 : le citoyen providentiel.

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