Les Confinés

Chapitre 34 : les militants

Nous dévisageons l'intrus avec intérêt. Il va falloir qu'il s'explique, et vite.

— Je vous ai demandé qui vous étiez !

Il me fixe avec bienveillance.

— Je m'appelle Lionel. Je vis ici. A une époque, je faisais partie des gens importants, puis j'ai décidé de me retirer de la vie publique. J'en avais assez des déconvenues. Le monde changeait trop vite, et pas forcément dans le sens que j'espérais. Alors, j'ai décidé de voyager, au nez et à la barbe de tout le monde. Je me suis isolé au fond de la cale de ce chalutier et je profitai du large quand des marins partaient à la pêche. Je me suis de moi-même placé en confinement dans un tonneau. On ne m'a jamais vu. Ainsi, on m'a oublié. Je ne pense pas que quelqu'un se souvienne de Lionel à bord du PEHESSE.

Décidément, je n'en crois pas mes oreilles.

— Le navire PEHESSE ? Mais nous venons du navire REM !

Il semble alors perturbé.

— Dans ce cas, effectivement, c'est très étrange. J'aurais donc changé d'île flottante sans m'en rendre compte ? C'est tout à fait possible. Les Armateurs opèrent parfois des transferts de biens. Eux-mêmes changent parfois de bord au gré des opportunités politiques. C'est plus fréquent qu'on ne le pense.

J'écarte toute cette histoire d'une main.

— Bon, très bien, super, ce n'est pas le plus important dans l'immédiat. Il faut se dépêtrer de nos poursuivants. Votre méthode a des chances de marcher, Lionel ?

Il sourit.

— Elle ne pourra pas marcher car elle n'a pas de pied.

Il m'agace.

— Et si on arrête les blagues ?

Il retrouve son sérieux.

— Les méthodes non conventionnelles permettent en tout cas de surprendre l'adversaire. Ça peut être assez fou pour fonctionner.

Nous exécutons alors son idée. Nous déployons tous les filets sauf un seul. Si nous nous en sortons, il nous faudra un filet pour continuer à pêcher. Puis, nous déployons les filets en poupe et les larguons en les étendant sur toute la largeur. Ainsi, ils prennent la forme d'une toile presque invisible sur la mer, à même de prendre au piège les hélices ou les propulseurs des vedettes à notre poursuite. Néanmoins, j'avouerai que nous comptons beaucoup sur la chance. Je ne crois pas trop à cette idée.

Avec Camille, nous restons en poupe. Nous nous serrons l'un contre l'autre. La peur nous assaille. Cette solution va-t-elle nous sauver ? Nous allons vite le savoir.

Le résultat est mitigé. Effectivement, les premières vedettes se prennent dans les filets, mais les suivantes ne rencontrent aucun obstacle. Pire, celles qui naviguaient à l'écart ne rencontrent aucun piège. Nous ne parviendrons pas à leur échapper. S'en est fini de notre échappée-belle.

Nous avons viré de bord mais ça ne sert à rien. Nous ne saurons même pas si la forme brillante devant nous correspondait à un navire ou une île naturelle. Nous ne l'atteindrons jamais. Pire, nous ne l'approcherons même pas. Les vedettes nous encerclent.

Lionel semble connaître ces gens ou en tout cas reconnaître leurs uniformes. Il partage avec nous cette information.

— Ce sont des chasseurs des Armateurs. On les appelle à juste titre : les Militants. Ils sont aussi anciens que leurs maîtres. Ils obéissent à la direction de tous les navires, sans tergiverser. Ils ont traqué les premiers mutants apparus sur le AIR-PET-CET et évadés. Ils sont méthodiques, dévoués et persévérants. Ils n'abandonnent jamais.

Je regarde Camille et son regard en dit long. Voilà quelque chose que nous aurions aimé savoir avant ! J'étais en prison et amnésique, je ne pouvais donc pas le deviner. Quant aux membres de la nouvelle espèce aux branchies, confinés dans le laboratoire de Raoul depuis longtemps, ils ne pouvaient pas non plus connaître ce genre d'organisation. J'imagine que les Militants ne font pas spécialement de publicité à leur propos.

Contre moi, Camille pose alors la question universelle sur le chalutier.

— Qu'allons-nousfaire maintenant ?

A suivre dans le chapitre 35 : à l'aveugle.