Les Confinés

Chapitre 36 : la mutation

La journée et la nuit sont longues, surtout sans distraction. Nous ne bénéficions ni nourriture pour reprendre des forces, ni de couvertures afin de nous réchauffer. Nous sommes clairement à bord d'une île flottante, un navire géant, mais nous ne connaissons pas son nom. Nous finirons peut-être par le savoir bientôt, mais ça ne changera pas grand-chose.

Le lendemain matin, on daigne enfin nous nourrir. Des hommes et des femmes en blouses apportent des paniers qu'ils posent sur la rambarde au sommet du mur. Puis, ils renversent le contenant et vide le contenu sans considération vers le fond de la fosse. Il s'agit de fruits et de légumes. Ils tombent dans la boue et nous entreprenons de les nettoyer avant de les manger.

Quand je les étudie plus attentivement, ils ne sont pas de première fraîcheur. Assurément, il s'agit d'une récolte passée, un peu blette, que les citoyens du navire ne veulent plus. Nous mangeons des restes.

La nourriture bien que de mauvaise qualité parvient néanmoins à nous redonner de l'énergie. C'est un plaisir d'enfin passer quelque chose de comestible dans notre estomac, après ces jours de diète. En plus, nous ne savons pas si nous pourrons manger tous les jours, alors nous profitons de cette chance.

Nous nous ennuyons le reste de la journée car il n'y a rien à faire. Je ne comprends pas ce que nous faisons là. Ils n'exigent rien, ils n'attendent rien de notre part. Nous sommes simplement enfermés !

Finalement, je comprends. Un Armateur vient nous rendre visite. Il nous fixe d'un air énigmatique. Je suis surpris, il a l'air jeune. A ses côtés se tient un drôle d'homme, le crâne passablement dégarni mais le visage marqué par une épaisse barbe touffue. Elle est d'un noir intense, sauf au niveau d'un unique côté de sa mâchoire ou une grosse tâche blanche vient trahir l'uniformité de sa couleur. C'est ridicule. A sa place, je raserai tout. L'autre l'a bien compris.

Je finis par les identifier quand ils parlent entre eux. Le premier est Emmanuel, le chef des Armateurs du REM. Nous sommes donc revenus à notre point de départ ! Le second est Edouard, son brave bras-droit.

Finalement, Emmanuel s'adresse directement à nous.

— Nous sommes en guerre. Vous le savez ? Pas contre une armée. Pas contre un navire. Pas contre un peuple. Pas contre des pirates. Pas contre des rebelles. Pas contre la LUPOR décimée. Pas contre des envahisseurs extraterrestres. Nous sommes en guerre. Nous sommes en guerre contre une maladie qui entraîne une mutation génétique. Elle donne des branchies et une peau mole, adaptée à la vie en mer. C'est répugnant. Je vais appeler ça, la Colik-19.

Je ne comprends pas ses élucubrations.

— Pourquoi 19 ?

— Parce que vous êtes 19.

Je regarde mes camarades. Effectivement, il a raison. Je reviens à Emmanuel.

— Je n'ai pas subi de mutation.

— Ce n'est pas grave, Alex. Tu as sympathisé avec eux, tu subiras donc le même sort.

— Quel sort ?

— Tu verras bien. Je ne vais pas révéler le suspense trop vite. Pour l'instant, tu vas rester en confinement avec les autres malades. Vous sortiez bientôt, mais sous conditions. Je les détaillerais ultérieurement.

Il détourne son attention de moi et revient à Edouard. Ils s'expriment ensemble à voix basses, ils pensent que nous ne les entendons pas. Pour ma part, c'est la vérité, mais la mutation doit décupler les sens car Camille me glisse dans l'oreille l'échange qu'ils ont.

— Edouard, tu as entendu la nouvelle rumeur ?

— Laquelle, maître ?

— Celle qui dit que la mutation ne serait pas un phénomène naturel, mais plutôt le fruit d'expérimentation laborantine, échappée d'un centre de recherche sur le AIR-PET-CET.

— Dans quel but ?

— Apparemment, leurs Armateurs voulaient changer leur population pour gagner un avantage sur les autres. Leur population aurait été bien mieux adaptée au nouveau monde. Mais tout ça leur a échappé.

— C'est ridicule. Personne ne gagne d'avantages avec une mutation incontrôlée.

— Tu as sans doute raison, mais ça mériterait peut-être quelques investigations ? Une enquête ne coûte rien.

Je dois bien avouer queje suis d'accord avec Emmanuel. Une enquête serait judicieuse, mais elle nesera pas menée par eux, plutôt par nous. Nous devons absolument trouver unmoyen de nous échapper et d'en apprendre plus sur la mutation. Je ne veux pasattendre le retour d'Emmanuel et ses prochaines annonces, nous n'auronsclairement rien à y gagner !

A suivre dans le chapitre 37 : une grille.