Chapitre 33 : retour à la réalité

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Nous naviguons déjà depuis plusieurs jours, sous la direction méthodique de J, quand j'entends P hurler une annonce.

— Terre en vue !

Il est immédiatement repris par l'inséparable N, affecté aux mêmes tâches. Ces deux-là sont vraiment sur la même longueur d'onde.

— C'est vrai ! Terre en vue !

Ils gagnent ensemble le toit de la cabine du chalutier et observe l'horizon avec une paire de jumelles dénichée quelques jours plutôt dans la cabine de pilotage. Ils scrutent l'horizon à tour de rôle.

— Ça brille ! Bien trop pour savoir si c'est de la terre ferme ou un navire...

Je m'en mêle aussitôt, l'inquiétude me gagnant.

— Vous pensez que la terre ferme pourrait briller de cette façon ? Ce n'est pas plutôt l'acier d'un navire ?

— Dans ce cas, il serait massif.

Je hausse les épaules.

— Le REM était particulièrement imposant. J'imagine que les îles flottantes du même genre ont un gabarit semblable. Il faudrait peut-être virer de bord et s'éloigner ?

Nous entendons alors la voix de F qui nous parvient de l'arrière. Toujours maîtrisé, son ton ne quitte pas son octave uniforme, même pour annoncer quelque chose de terrible.

— Je repère des navires en approche par la poupe. Ils sont rapides. Ils vont vite nous rattraper.

Avec Camille, nous nous précipitons vers la poupe, main dans la main. Là, l'horreur du paysage nous glace le sang. En effet, plusieurs appareils rapides foncent dans notre direction. Il s'agit de vedettes équipées de moteurs puissants. Ces engins sont au moins aussi gros que notre chalutier, mais ils foncent sur les vagues, rebondissent de l'une à l'autre et opposent qu'une faible résistance à l'eau. Ils nous rattraperont très vite. Il faut trouver une solution.

J'entends alors J crier depuis la cabine. Il demande des directives.

— Quelle solution doit être envisagée afin de nous permettre de quitter cette situation périlleuse et menaçante pour notre liberté et notre façon de vivre tout à fait exceptionnelle que nous étions parvenus à développer à l'écart du monde de cette prétendue civilisation même si nous n'avions pas encore jeté l'ancre sur une plage convivial et adaptée à notre nouvelle existence ?

Plusieurs s'interrogent sur le sens de ces propos mais j'ai cerné l'idée : comment faire ?

— J ! vire de bord, comme tu veux, bâbord ou tribord, ça n'a pas beaucoup d'importance ! Il faut tenter de s'éloigner !

Je vois Nico nous rejoindre. Il a abandonné sa pêche aux crustacés. Il pointe du doigt nos poursuivants et s'énerve.

— Ils ne vont pas remettre en question notre mode de vie ! Nous avons décidé de vivre à l'écart, reclus sur ce navire, en confinement physique mais libres de toute influence étrangère ! Restons entre nous ! Luttons !

Il est soutenu par Ja de la cantine.

— Nous serions tranquille uniquement sur la Lune ! Regardez-là briller là-haut dans le ciel, elle est inaccessible pour nos adversaires.

L'enseignant B le ramène à la raison.

— Elle est également inaccessible pour nous et nous n'avons pas d'armes pour nous défendre !

En effet, l'idée est saugrenue. Nous n'avons d'ailleurs pas l'occasion d'y penser davantage car, avec stupéfaction, nous assistons à l'apparition d'un homme, non-mutant. Il sort de la calle par une trappe. Nous ne l'avions jamais vu depuis toutes ces journées passées à bord. Ça n'a aucun sens, mais pourtant, il est là. Il semble un peu déboussolé et ses cheveux blancs frisés marquent une vraie différence avec la chevelure toujours lisse et humide des mutants. Il nous fixe avec ses yeux cachés derrière une paire de lunettes rondes avant de s'exprimer.

— Il faut lancer les filets pour bloquer les moteurs des poursuivants dans notre sillage. Il ne faut pas avoir peur de faire des choses qui sortent de l'ordinaire pour changer le monde.

Tout le monde reste stupéfait, à le considérer ainsi, parmi nous : un Humain aussi classique que moi, caché à bord depuis des jours ! Il a échappé à nos fouilles méthodiques. A croire que nous ne connaissons pas le chalutier si bien que ça.

— Mais quiêtes-vous donc ?


A suivre dans le chapitre 34 : les militants.

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