Nuit 2

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La respiration entrecoupée de sanglots, j'essaie vainement de m'endormir. Ma tête lourde repose sur mon oreiller, tandis que je serre dans mes bras la peluche de mon enfance, un petit singe à la queue tirebouchonnée. Les larmes coulent toutes seules de mes yeux, venant mouiller mes draps, mon pyjama, et mon doudou. La maîtresse de maison a encore frappé.

Mon ventre gargouille, me rappelant que je n'ai rien eu le droit de manger de consistant ce soir, et mes pleurs redoublent. Ma mère s'est mise dans la tête que je suis trop grosse. Je ne trouve pas. Si il y a bien une chose que j'aime chez moi, c'est mon physique. Pour le reste, je sais qu'elle a raison. Mais je me trouve belle malgré tout, même si je pense que la beauté c'est subjectif.

Elle n'a pas arrêté de me faire des remarques, tandis que j'avalais le bouillon de légume qu'elle m'a servi alors que les autres avaient le droit à du poulet. On ne m'a pas posé une seule question sur ma journée, mes amis, ce que je lisais... Mathias a été l'objet de toute son attention parce qu'il avait enfin mis les pieds à l'université. Incroyable. Je pense que ma colère devait se lire sur mon visage, car mon père n' arrêtait pas de me chuchoter de me détendre, mais Maman a fini par me dire d'aller de mon coucher au milieu du repas. Comme si elle ne pouvait pas supporter de me voir. Comme si j'étais l'enfant indésirée. Comme si j'étais une moins que rien.

Je serre encore plus fort mon singe contre ma poitrine en me remémorant ma soirée. Mon masque de fausse indifférence s'est écroulé dès que j'ai franchi le seuil de ma chambre, et je me suis précipitée à la fenêtre pour observer le ciel. Mais je n'ai pas réussi à bien le voir, même en tordant ma tête dans tout les sens. J'ai fini par renoncer et suis allée me glisser sous ma couverture, la mort dans l'âme, les larmes aux yeux.

Tu es trop grosse. Tu devrais maigrir. Maëlle, sors de ma vie, tu me gâches la vue. T'es vraiment qu'une pétasse. J'ai gâché dix ans de ma vie avec toi. Comment j'ai fait pour avoir une fille pareille. T'es qu'une bonne à rien. Sors d'ici tu ne fais que me gêner. Comment t'as pu me faire ça ? T'es vraiment horrible. Tu ne mérites pas que je t'adresse la parole. Tu es inutile à souhait. Tu es qu'une horreur. Tu es égoïste. Méchante. Inutile. Moche. Horrible. Énervante. Grossière. Grosse. Maigre. Écervelée. Stupide. Cupide. Une erreur de la nature. Une menteuse. Une profiteuse.

Les paroles d'Aimée et de Maman se mélangent dans mon esprit dans une boucle infinie. Leurs reproches, leur haine. Je comprends mieux pourquoi elles s'entendaient si bien. Et la boucle recommence. J'enserre ma tête de mes deux mains, sur le point de craquer. Je retiens des hurlements, de haine, de tristesse, de désespoir. Les murs de ma chambre semblent se resserrer autour de moi, m'étouffant entre ces parois de béton. Je manque d'air. Le ciel me semble si loin, les étoiles aussi.

N'y tenant plus, je jaillis de mon lit, attrape mon plaid, mon élastique noir que j'utilisais pour empêcher la porte coupe feu de se fermer il y a deux ans, et me précipite à l'extérieur de l'appartement, ne prenant pas  compte du bruit que je produis. Mes poumons demandent de l'air frais, j'inspire et j'expire frénétiquement, mais jamais assez. Je cours vers la porte coupe-feu, coince l'élastique sur la poignée intérieur, passe le fil sur le loquet pour l'empêcher de se remettre en place et l'attache à la poignée extérieur, avant de monter précipitamment les marches en fer et d'arriver enfin sur le toit.

Arrivée en haut, je me laisse tomber, à bout de force, sur le béton froid, et me remet à pleurer toutes les larmes de mon corps, mais cette fois de soulagement, le regard fixé sur les étoiles. Je respire enfin librement. L'étau qui enserrait mes poumons disparaît progressivement et je reste de longues minutes, allongée sur le dos, tandis que ma poitrine se lève et s'abaisse doucement.

La nuit est tombée depuis bien longtemps, mais j'arrive avec peine à reconnaître les étoiles et les constellations à cause de la pollution dans l'air. Les Hommes détruisent ce que le monde leur donne de plus beau, comme si ce qui était beau était une menace pour eux. Toute fois, j'arrive facilement à trouver la Grande Ours malgré les quelques étoiles indiscernables. Je la connais par cœur. J'arrive même à remettre les points lumineux manquant.

Lueurs solitairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant