Jour 2

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Je me regarde longuement dans le miroir mural de la salle de bain. Les paroles de ma mère résonnent encore dans ma tête, et se frayent un chemin parmi mes pensées. Peut être qu'elle a raison, peut être que je devrais moins manger.

Je n'ai pas un corps de mannequin. Pourtant, c'est beau les mannequins... Je devrais faire un régime. Je pourrais ressembler à toutes ces filles sur Instagram, qui ont des milliers de like, à toutes ces actrices dans les séries après qui tout les garçons courent, à Aimée. Je pourrais ressembler à Aimée. Peut être qu'elle m'aimera plus comme ça.

J'aplatis au possible mon ventre, et trouve ma silhouette d'un coup bien plus gracieuse. Et puis, ça ne me fera pas de mal non plus de perdre quelques kilos au niveau des hanches... Je relâche mon ventre, me jette un dernier regard plein de mépris et m'habille rapidement. Je brosses ensuite ma tignasse, ce qui m'arrache un grognement de douleur à cause des nœux apparut pendant la nuit. Pour finir, j'étale à contre cœur mon anticerne pour masquer les traces noires bien voyante sous mes yeux. Je n'ai encore une fois pas dormis de la nuit.

Aujourd'hui, je ne passe même pas par la case cuisine, ayant très bien compris que Maman ne me donnera rien à manger, et autant bien commencer mon régime. J'attends mon père sur le canapé du salon. Je pose ma tête sur les genoux, mes pieds nus effleurant la banquette, et regarde, rêveuse, la porte d'entrée.

Un jour je pourrai m'enfuir. Un jour je serai libre. Un jour, ma mère disparaîtra de ma vie. Ce n'est d'ailleurs plus qu'une question de mois. A la fin de l'année scolaire, je m'enfuis dans une université. Loin d'elle. Loin des fantômes de mon enfance. Alors échouer n'est pas une solution. Je ne tiendrai pas un an de plus. Une goutte d'eau tombe sur mon pied. Surprise, je me redresse et m'aperçois qu'elle provient de mes yeux. Il faut que j'arrête d'être aussi faible. Si seulement je pouvais être assez bonne actrice pour composer un masque d'indifférence chaque matin...

Je me ressaisis et me lève du canapé. C'est ma famille. Je ne suis pas censée avoir peur d'eux. Je passe dans la cuisine espérant y trouver ma mère pour la saluer avant du partir, pour éviter qu'elle aille crier sur tout les toits que sa fille est une ingrate. Coup de chance, elle est attablée avec Mathias, et tourne machinalement sa cuillère dans sa tasse de thé. Elle ne semble pas très réveillée.

- Maëlle ! s'exclame-t-elle en m'apercevant.

Elle sourit, et son visage, au contraire, s'assombrit.

- Tu m'as l'air en pleine forme.

Je regarde discrètement dans le reflet de la vitre mes traits chiffonnés, mes cernes aussi noires que possible, mal dissimulée par le maquillage, et mon ventre décidément trop gros.

- Je... N'ai pas si bien dormi que ça pourtant. je réplique en tâtonant un peu pour voir son humeur.

- En effet, ça se voit. Je disais que tu étais en pleine forme par rapport à ton corps. Je suis sûre que tu es venue manger quelques chose cette nuit. Comment veux-tu mincir si tu mange en chachette ?

- Je...

- Bonne journée. me coupe-t-elle.

Je me penche et l'embrasse du bout des lèvres sur la joue puis salue de loin mon frère qui a le nez plongé dans son café. Il ferait bien de le boire au lieu de le regarder. Je repars de la cuisine et aperçois mon père qui m'attend dans l'entrée, une tartine à la main. Mon ventre gronde, mais je l'ignore et attrape mon manteau et mon cartable. Il hausse les épaules et commence à la manger.

- Tu es prête ?

J'acquiesce et nous descendons jusqu'au parking dans un silence que je trouve pour une fois assez pesant. Papa me cache des choses. J'en suis sûre. Je suis capable de sentir ces choses là. Surtout que je réagis de la même façon que lui. Je m'installe sur la place de passager et l'observe poser ses affaires dans le coffre avant de venir s'asseoir à côté de moi. Il m'évite du regard et démarre la voiture.

- Qu'est ce qu'il y a Papa ? je lance d'un coup.

Je le vois se tendre et regrette immédiatement mes paroles ce n'est pas comme ça que je vais réussir à le faire craquer. Je pose une main qui se veut rassurante sur son épaule, puis me renfonce dans le siège en cuir.

- Désolée je ne voulais pas te brusquer...

Il balaie mes excuses d'une main le regard fixé sur la route, les mains crispées sur le volant. Le trajet se poursuit dans un silence pesant. Mon père s'arrête finalement devant le lycée et je m'apprête à sortir quand il me retient d'une main. Une lueur douloureuse dans les yeux, il me fixe sans réussir à parler, à mon plus grand étonnement.

- Je... Ne le dis pas à Mathias. On veut vous en parler ce soir mais... Autant que tu le saches maintenant. Ta mère et moi allons divorcer.

Ma main retombe le long de mon corps, tandis que je reste immobile au milieu du trottoire. Cela ne peut pas être vrai. C'est un poisson d'avril en retard. Ou en avance. Papa et Maman ne peuvent pas se séparer. Mon ange gardien ne peut pas me laisser seule avec Lucifer. Le regard de mon père se fait implorant en voyant mon absence de réaction. C'est le déclic que mon subconscient attendait.

- C'est pas vrai ! C'est pas vrai ! Dis moi que c'est pas vrai ! Que vous resterez toujours ensemble ! Que tu ne vas pas m'abandonner comme ça ! Tu ne peux pas me laisser seule avec elle ! Je t'en pris... Je m'arrangerai si tu veux... Pitié Papa...

Je m'effondre par terre, les larmes coulant silencieusement le long de mes joues. La portière claque devant moi, et la voiture démarre. Mon monde vient de s'écrouler. Elle aura gagner finalement. Mon père m'abandonne. Tout ça à cause d'elle, et de son comportement depuis deux ans.

Je frappe le sol de mes mains, en hurlant, entre deux sanglots. Ma douleur se fait omniprésente, dans mon cœur, dans mon corps, dans mon esprit. Mon père m'a abandonnée. Il m'a laissée à bout de force sur le trotoire. Mon père m'a abandonnée. Il me laisse avec Maman. Mon père m'a abandonnée. Ma lueur d'espoir dans cette prison noire. Mon père m'a abandonnée.

Les passants s'écartent quand ils passent à côté de moi. Personne ne se dit que j'ai peut être besoin d'aide. Personne ne se dit que je suis détruite. Personne ne trouve le courage de briser les règles tacites de la société et de s'approcher de moi.

À quelques mètres de la, le portail vert du lycée me semble innateignable. Et pourtant je dois y aller. Je n'ai pas le droit d'avoir le choix.

- Maëlle, ça veut dire quoi avoir le choix ?

- Avoir le choix... Ça veut dire pouvoir faire ce que l'on a envie, tout en restant dans la limite de nos libertés.

- Dans ce cas c'est quoi la liberté ?

- La liberté Automne, c'est un bien vaste sujet. Les gens te diront que la liberté c'est faire ce que l'on veut. Vivre comme on veut. C'est pas vrai. Ils te diront aussi qu'ils sont libres. Ce n'est pas vrai non plus. La vrai liberté, Automne, c'est de se débarrasser des chaînes qui contrôlent ta vie, et de vivre, vraiment. C'est réussir à se détacher de cette société liberticide. C'est bien beau les principes, liberté égalité, fraternité... Mais à quoi bon si au fond, personne ne les respecte ? La vrai liberté Automne, c'est réussir à diriger sa vie.

Elle fronce les sourcils.

- Est ce que monter voir les étoiles c'est la liberté ?

- Non, ça c'est désobéir. Viens on rentre.

Je tends la main et elle glisse ses petits doigts à l'intérieur.

Je me relève difficilement dans l'indifférence la plus totale de la part des passants, et me dirige vers le portail du lycée. Je n'ai pas envie d'y aller. Je m'arrête quelques secondes devant, mon sac serré contre ma poitrine, les yeux rouges, et les jambes tremblantes.

- Pousse toi. Tu bloques le passage là.

Une voix sèche aux intonations dures me fait me retourner. Aimée se tient dans toute sa splendeur derrière moi, les poings sur les hanches. Son regard moqueur se fait méprisant quand elle remarque mon état. Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais je ne lui en laisse pas le temps et la bouscule pour m'enfuir en courant sur le trotoire. Tant pis pour les cours. Je ne suis pas capable de survivre à cette journée.

On verra pour demain.

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