Jour 7

86 10 28
                                    

Le soleil flirte avec mes paupières et me fait grincer des dents. Il est tôt. Trop tôt. Pourquoi est-ce-que mes volets ne sont pas fermés ? Et pourquoi je reçois du soleil d'ailleurs, ma fenêtre étant orientée plein ouest ? Je me redresse soudainement et regarde autour de moi.

- Je ne suis pas à la maison. constaté-je d'une voix plate.

- Bravo Sherlock! Il t'as fallu tout ce temps pour t'en rendre compte ?

Chaque muscle de mon corps se tend immédiatement au son de cette voix. Cette voix que j'entends où que j'aille. Cette voix qui me hante matin midi et soir. Cette voix que je chéris malgré moi.

- Aimée.

- Deuxième mystère résolu ! Nous formons une grande équipe ! Pour le troisième je te propose de chercher la porte d'entrée ! Ou de sortie devrais-je dire.

Sans faire un geste, je dévisage mon ex-meilleure amie. Toujours pareille. Elle règne en reine chez elle. Maintenant je me souviens. Après être partie du restaurant, je n'avais nulle part où aller, refusant de montrer à maman que ma tentative de réconciliation avec papa avait échoué. Alors j'étais partie au seul endroit que je connaissais en ville. Je savais qu'Aimée ne parlait pas de ce qui se passait à l'école avec ses parents, et j'avais que très peu de chance qu'elle ait parlé de notre dispute, au vue des raisons.

Alors j'y étais allée, espérant en mon for intérieur qu'ils étaient en famille ce soir là. Ils l'étaient. Aimée n'a pas eu d'autres choix que de m'accueillir, si elle ne voulait pas perdre la face devant ses parents.

- Maëlle eh oh !

Ses doigts claquerent à quelques centimètres de mes yeux, me ramenant au moment présent. Je me lève du canapé lit, et rassemble mes affaires, étalée au pied de mon lit de fortune.

- Je me tire. Merci de m'avoir hébergée.

Elle hausse les épaules et s'assoit sur son lit double, là où je dormais avant.

- De rien. Ce n'est pas comme si tu m'avais laissé le choix.

Je penche dans un infime mouvement, la tête, et sors de sa chambre, discrètement pour éviter de réveiller ses parents. Je connais sa maison comme si c'était la mienne. Les cachettes à bonbons, l'intensité des lampes, la correspondance des interrupteurs, les moindres recoins, et le parquet n'y fait exception. Je sais où il craque, je connais les marches à éviter dans l'escalier, je sais comment l'aborder. Aucune chance que je réveille quiconque.

Arrivée à la porte dans un silence de cathédrale, je pose mon sac, et englobe d'un regard le salon d'Aimée. C'est sûrement la dernière fois que je le vois. Sûrement la dernière fois que je pénètre dans cette maison, que je connais mieux que celles de mes grands parents. Ma deuxième maison. Mon foyer.

Amanda, la mère de mon ancienne meilleure amie, a toujours eu une place spéciale dans mon cœur. Quand Maman a commencé à être dure avec moi, c'est à elle que j'allais parler, me confier. André, le père, m'a bricolé mon bureau, soignée mes blessures, m'a appris à jouer au basket et au foot. Abigaelle la grande sœur m'a fait mon premier trait eye-liner, m'a offert ma première paire de talon, m'a emmenée un nombre incomparable de fois au cinéma gratuitement. Arabelle la petite sœur, était la meilleure amie d'Automne. Et tout ça, ça n'a pas de prix.

Poussant un soupir de résignation, je récupère mon sac et pousse la porte de la maison. Je traverse rapidement le jardin, remarquant partout des marques, des objets, des plantes qui m'ont marquée. Les larmes me montent aux yeux, mais j'essaie de les refouler le plus possible. Je dis adieu à une partie de ma vie, peut être parmi les plus heureuses. Je pousse le portillon, prête à partir.

- Maëlle !

Le cri d'Aimée me fait me retourner, bien malgré moi. Ses yeux me happent. Ils sont pleins de larmes.

- Cette maison te sera toujours ouverte. Mon cœur aussi. Je suis désolée. Pour tout.

À mon plus grand étonnement, seules deux émotions montent en moi. La joie de retrouver ma meilleure amie comme je la connaissais, et la rancune.

Cela ne fait que huit jours que l'on ne se parle plus, mais j'ai l'impression que cela a duré plusieurs mois. Ces huit jours ont été parmi les plus durs emotionellement de toute ma vie. Et pourtant j'en ai connu des choses. J'ai l'impression qu'elle a raté des années entières. Moi qui croyais qu'elle était essentielle à ma survie, je vois désormais comment je me suis trompée. Ces huit jours sont passés. J'ai survécu. Ça a été dur. Mais qu'est ce qui n' est pas dur dans la vie ?

- Aimée...

Je lâche le portillon et vais m'asseoir sur la balançoire qui pend de la branche d'un arbre. Je commence doucement à me balancer.

- Je... Je sais pas quoi penser. Tu peux être désolée ça n'enlève en rien ce que tu as fait, ce que tu m' as fait. Il s'est passé tellement de choses en huit jours... Je veux dire, tu as raté des choses tellement importante pour moi. Et tu ne pourras jamais changer ça. Durant plusieurs années, j'ai cru savoir ce que c'était la peine, la douleur, l'amour, la panique. Je n'en savais rien. Tu m'as détruite. En tout cas tu as participé à ma destruction. Tu as dévoilé à tout le monde mes secrets les plus intimes.

Elle s'avance vers moi pour suivre le fil de mes paroles.

- Écoute. Je sais qui je suis. Je n'ai aucun problème avec ça. Je me suis longtemps cherchée, mais récemment, je me suis trouvée. Toi, tu ne sais pas qui tu es. Ce n'est pas un défaut, c'est normal. Ne crois pas être seule dans ce cas. Je t'ai avoué mes sentiments, tu as pris peur, je comprends. Mais je refuse que tu exposes tout devant tous, et je refuse de vivre une amitié à double tranchant comme celle que l'on pourrait avoir.

- Ce n'est pas...

- Écoute-moi, tu pourras parler après. je l'interromps. Tu as raté l'anniversaire de mort d'Automne. Tu as raté le divorce de mes parents. Tu as raté, ou plutôt organisé, mon harcèlement. Tu as raté mes échappés solitaires sur le toit. Tu as raté ma quête de moi-même. Tu as raté la pression de ma mère. Tu as raté l'abandon de mon père. Tu as raté la curiosité de Jules. Tu as même raté Jules en entier d'ailleurs. Tu as raté la présence de Mathias. Tu as raté ma peur panique. Tu as raté ma douleur. Tu as raté mes larmes. Tu as raté ma tristesse. Tu as raté ma haine de moi. Tu as raté ma lueur, ma lueur de vie, qui s'éteignait peu à peu.

Le silence se prolonge, avant que je reprenne, la voix enrouée:

-Je suis une solitaire, je le serais toujours. Je n'ai pas besoin d'être entourée par une horde de personne. Je n'ai pas besoin d'être admirée de tous. Je n'ai même pas besoin d'avoir un copain ou une copine. Je suis bien comme je suis. On est le jour et la nuit Aimée. Et on le sera toujours. Il y a un garçon qui m'a aidée à comprendre ça. Mais tu sais le pire ? Je connais Jules depuis une semaine je lui fais plus confiance qu'à toi.

- Maé... Je suis désolée. J'ai bien compris que ces mots ne servent à rien, mais je tiens quand même à les dire. Tu as complètement raison, je... je sais pas qui je suis. Alors je reporte mon incertitude et ma peur de l'inconnu sur les autres. La vérité, c'est que je mens à tout le monde, même à moi-même. Je ne comprendrais jamais ce que tu as vécu, ni à quel point c'est dur. Je suis consciente qu'on ne pourra jamais retrouver la relation qu'on avait avant. Mais s'il te plaît, laisse moi partager ta douleur plutôt que d'en être la cause !

Les yeux brillants, je la regarde telle que je la vois. Une fille complètement perdue, aux longs cheveux blonds, aux grands yeux bleus, au corps parfait, en pyjama, alors qu'il fait moins de dix degrés, aux larmes qui coulent le long de ses joues. Un doux sourire vient prendre place sur mes lèvres.

Elle a toujours été pardonnée. Je ne peux rien lui refuser. C'est comme ça. C'est la vie. Automne a toujours été tout pour moi.

- Bon. Tout à commencer il y a une semaine je crois, quand j'avais super chaud dans ma chambre...

Elle m'a écoutée, patiente, dérouler le fil des évènements. Le toit. Jules. Maman. Mathias. Papa. Elle. Automne. Encore elle. Encore Jules. Encore Maman. Encore Mathias. Encore Papa. Parce que c'est ma vie. Et qu'elle en fera toujours partie, que je le veuille ou non.

Lueurs solitairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant