Jour 5

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Je me réveille, courbatue des pieds à la tête. Je me suis endormie en boule sur mon lit alors que je pleurais. Ma fenêtre ouverte claque contre le mur au fur et à mesure des coups de vent. Comme c'était ma seule source d'air frais, je ne l'ai pas fermée. Il faut que je me lève.

Je déplie une jambe puis l'autre au prix d'un grand effort, et mes pieds rentrent en contact avec le sol froid. Un frisson incontrôlé remonte le long de ma colonne vertébrale. Je me lève, attrape des vêtements au hasard dans mon armoire puis baisse lentement la poignée de ma porte.

Elle s'ouvre. Je suis libre. Je peux aller à l'extérieur. J'expire lourdement et un immense sourire prend place sur mon visage. La nuit dernière a vraiment été un défi pour moi, et savoir qu'il est terminé ne peut  provoquer que du soulagement en moi.

Je rentre dans la salle de bain, et hésite longuement à m'enfermer à clé.

- Maëlle, ma fille, tu ne vas pas être bloquée de fermeture à double tours quand même... Tu peux fermer le loquet de la salle de bain. Allez ! Ta mère ne va pas te traumatiser à ce point !

Mon filet de voix s'éteint dès que je croise le reflet de mon regard dans le miroir.

Tu es forte ! me hurle mon cerveau.

Tu va craquer ! réplique mes yeux.

Tu es belle ! proteste mes pensées.

Tu n'as pas honte de laisser les autres te regarder ? chuchote insidieusement mon reflet.

Une larme vient s'écraser sur le sol carrelé de la pièce, comme pour donner raison à la mauvaise partie de moi. Une deuxième s'ensuit. Puis une troisième. Et une quatrième. Bientôt, c'est un véritable torrent qui dévale la pente de mes joues. On pourrait croire qu'après une nuit passée majoritairement à pleurer, je n'aurais plus assez de réserve d'eau, mais si ! Je suis une source inépuisable apparament. Et je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose.

Je descend quatre à quatre les marches de l'escalier. Après un rapide regard vers ma montre, j'ai compris que je n'arriverai jamais à l'heure pour ma première heure de cours. Comme mon père ne peut plus m'emmener, il va falloir que je prenne le bus, et avec son itinéraire, il me rallonge mon trajet d'une bonne demi-heure, sans compter ses arrêts plus que fréquents...

Je jette un coup d'œil à mes cheveux désordonnés dans une glace au milieu du couloir, arrange quelques mèches, inspire un bon coup et entre dans la cuisine où déjeune Mathias et Maman.

- Bonjour ma chérie. me salue cette dernière quand elle me voit.

Je réponds par un hochement de tête, et avale rapidement le verre de jus de fruit posé sur la table. Son faux sourire me donne envie de vomir. Elle m'enferme contre mon gré dans ma chambre, et le lendemain elle paraît avoir oublié.

- Tu iras à l'école en bus aujourd'hui ma chérie, tu le sais...

Je m'assois à la table et recupère une pomme bien rouge posée là.

- Je sais. je réponds la bouche pleine.

Son poing claquant sur la table me fait sursauter.

- Ne parle pas la bouche pleine jeune fille ! Tu devrais te dépêcher, tu vas être en retard !

La pomme arrêtée à mi chemin entre ma bouche et la table m'échappe des mains et vient rouler par terre. Je rougis, me baisse la ramasse, m'excuse et sors de la cuisine après l'avoir jetée. Je sens les yeux méprisants de ma mère vissés sur mon dos.

Je rassemble mes affaires à la va-vite, attrape un grand manteau noir, un parapluie, et hurle un aurevoir avant de refermer la porte derrière moi. J'inspire un grand coup, pour me donner du courage. Ça va le faire.

***

Je monte dans le bus, emportée par la marrée humaine des heures de pointes. Aucune place n'est libre, alors je m'accroche à une barre, pour éviter de tomber. A côté de moi, un homme entre deux âges est assis, et semble bien rentabiliser sa place puisqu'il tape sur son ordinateur. Non loin, une vieille femme s'aide avec sa canne pour avancer dans le couloir. Un mouvement du bus lui fait perdre l'équilibre, et je me précipite pour la soutenir du mieux que je peux.

Sa peau claire est presque translucide, de profondes rides creusent des rigoles dans sa peau, et ses yeux bleus me fixent mais ne semblent pas me voir. Malgré cela, on ne peut lui enlever une certaine prestance, une certaine beauté.

Sa main tremblante repose dans le creux de mon coude, et lentement nous avançons toutes les deux.

- Merci beaucoup mademoiselle. chuchote-t-elle la voix chevrotante.

Je lui souris doucement et m'approche du monsieur en train de travailler qui ne devrait pas être assis quand une vieille dame est debout.

- Excusez moi, monsieur...

L'inconnu décroche à peine ses yeux de son écran, mais c'est suffisant pour que je devine qu'il m'écoute.

- Il y a une dame qui aurait besoin de s'asseoir, est-ce que vous la laisseriez prendre votre place ?

Cette fois-ci, j'ai toute son attention. Il me dévisage longuement, puis la vieille dame accrochée à mon bras.

- Je suis désolée mademoiselle mais je dois absolument finir cela. Je ne suis pas le seul qui est assis et qui pourrait laisser ma place.

Incrédule, je reste bouche bée quelques secondes. Une pression sur mon avant bras me fait revenir à la réalité.

- S'il vous plaît monsieur vous voyez bien que vous êtes parmi les plus jeunes assis...

- Mademoiselle, ne vous inquiétez pas, ça ira.

- Mais je...

J'alterne entre l'homme et la femme, begayant, incapable d'aligner une phrase complete. C'est injuste ! Les Hommes sont tellement égoïstes ! Les autres sont tellement généreux. Trop généreux !

La vieille femme se décroche de mon bras et part s'accrocher à une barre à côté. Je fronce les sourcils, mais ne dis rien, ayant bien compris que c'était une cause perdue. Elle me sourit, se voulant rassurante, et devant tant de joie, je ne peux m'empêcher de lui rendre. Je m'avance et attrape une barre à côté d'elle.

- Vous allez bien mademoiselle ? Vous êtes un peu pâle.

Je pose une main sur ma joue froide. C'est vrai que je n'ai pas beaucoup manger. Mais il faut souffrir pour être belle. Je ne vois pas encore de résultats, j'espère que mes efforts ne sont pas vains.

- Oui, ne vous inquiétez pas.

- Vous devriez manger un peu plus en tout cas, votre bras n'est pas bien épais pour me retenir.

Je me force à sourire, mais intérieurement, je bouillonne. Je ne lui ai pas demandé son avis sur mon poids. Et en plus, elle ne dit pas la vérité...

- Oui oui ne vous inquiétez pas, je n'avais pas faim ce matin c'est tout.

Elle ne répond pas. Moi non plus. La vieille femme reste droite, forte. Malgré ses paroles dérangeantes, je ne peux que l'admirer. Elle ne craque pas. Pourtant je vois sa main crispée sur la barre, ses jambes tremblantes, sa canne qui la retient. Elle m'impressionne, je dois le dire.

Le bus s'arrête à mon arrêt, et je descends la tête basse. Le lycée se dresse à nouveau devant moi, prêt à m'accueillir pour une nouvelle journée encore plus catastrophique que la précédente, j'en suis sûre. L'envie de s'enfuir à toute jambe et de rattraper le bus m'effleure l'esprit, mais je me rappelle cette vieille dame, qui m'a impressionnée bien plus que je ne voudrais l'avouer. Elle a tenu. A mon tour de tenir. Je n'abandonnerai pas. Je lui dois bien ça.

Lueurs solitairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant