Jour 9

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Je regarde la grille verte de mon lycée la boule au ventre. Je ne veux pas y aller. J'ai peur de ce que les autres élèves vont encore me concocter, et des réactions d'Aimée. La première chose que j'aperçois en entrant dans la salle est le regard méprisant de Liam sur moi. Il me heurte bien plus que je ne l'aurai voulu. Le copain de ma meilleure amie est un garçon calme et discret, qui me ressemble pas mal et que j'aime bien, mais visiblement ce n'est pas réciproque.

Ensuite, mes yeux accrochent ma table où des inscriptions ne me surprennent même pas. Le regard vide, la démarche robotique, je m'en approche sous les regards et les murmures. Je sais déjà ce que je vais y trouver. Mes yeux se posent dessus.

Pute. Salope. Contre-nature. Assassin. Tueuse. Erreur de la nature. Connasse. Horreur.

C'est écrit là. En gros. Impossible de le rater. Les mots se répètent, tout autour de la table, dans trente écriture différente. Trente. On est trente-et-un dans la classe. Ce n'est pas long de faire le calcul. Aimée en fait parti.

Maëlle ne craque pas. Elle ne mérite pas que tu pleures pour elle. Elle ne mérite rien.

Sans rien laisser paraître, je sors ma trousse, la pose sur la table, puis commence à chercher un stylo. Les murmures commencent à baisser autour de moi. J'en déduis que le professeur a du arriver dans la salle. Je relève la tête, et croise les yeux bleus d'Aimée. J'y lis la pitié, la tristesse. Sans la quitter des yeux, je tapote l'écriture au centre de ma table, écrite en majuscule. MEURTRIÈRE.

Elle suit ma main des yeux et devient livide, alors je sais que j'ai tapé dans le mille. Un sourire hypocrite s'étend sur mes lèvres et, silencieusement, je me lève.

- Maëlle ?

Je m'avance, jusqu'au tableau, la tête haute.

- Désolé monsieur, j'ai deux ou trois trucs à dire.

Il s'apprête à m'interrompre mais je l'arrête d'un geste. Je me tourne vers la classe qui me dévisage, curieuse.

- Je suis peut être une erreur. Peut être une horreur. Peut être une pute. Peut être une salope. Peut être une connasse. En revanche, je ne suis pas un assassin. Je ne suis pas une meurtrière. Je ne suis pas une tueuse. Je ne vous laisserai jamais salir la mémoire de ma petite sœur. Moi, et moi seule, sait ce qu'il s'est passé cette nuit là. Moi, et moi seule, peut choisir d'en parler. Moi, et moi seule, connaît la vérité. Moi, et moi seule, a choisi de mentir. Est-ce que vous avez bien compris ? Automne mérite votre respect, et salir sa mort c'est lui en manquer. Vous pouvez dire ce que vous voulez sur moi mais, s'il vous plaît, n'allez pas détruire le souvenir de ma petite sœur adoré.

Je n'ai pas fondu en larmes. Ma voix n'a pas flanché. Mais pour qui me connaît, mes yeux voulait tout dire. Ma douleur les a traversé, je le sais. Ma haine aussi. Le professeur cherche la raison de mon discours, et je vois ses yeux se poser sur ma table. Il devient blanc, puis vert, puis rouge, puis violet. Il fait un geste pour m'arrêter, mais je repars à ma table, calme, posée. Il ne dit rien, et commence son cours comme si de rien était.

***

Je me lève de ma table déserte et vais débarrasser mon plateau auquel je n'ai pas touché. Mon ventre a arrêté de gronder depuis bien longtemps après les repas sautés. Je me dirige vers mon bâtiment, mais un surveillant m'arrête avant que je n'y arrive.

- Maëlle ? Viens avec moi, on doit parler avec la CPE et ton professeur principal...

Étonnée, je le suis sans protester. Peut être qu'ils veulent me voir à propos de mon orientation... Ou de mes résultats ! Je m'assieds sur un chaise, d'un côté du bureau, tandis qu'en face s'installent mon professeur principal, ma CPE et le surveillant qui m'a accompagnée ici.

- Maëlle... M. Tullet nous a... Rapporté des propos et des actions qui nous ont... Inquiétés... commence l'unique femme en croisant les mains.

Aussitôt, je me renfrogne et mes défenses s'érigent toute seule. M. Tullet est le professeur qui a assisté à mon petit discours de ce matin, et qui a vu ma table. J'ai cru qu'il allait ne rien dire et laisser couler, mais apparament pas.

- Je... Je ne vois pas ce que vous voulez dire... je réponds la voix blanche.

Ils échangent un regard équivoque. Ils savent très bien que je sais. Ils se doutent que je n'ai juste aucune envie d'en parler. Ce n'est pas la peur, elle n'a jamais guidé mes actions. C'est juste que, derrière ça, il y a mes autres secrets. Secrets que je n'ai aucune envie de dévoiler vu là où ils m'ont emmenée. Le harcèlement dont je suis la victime ne me gêne pas plus que ça. Tant qu'ils ne m'empêchent pas de réussir mes études et d'avoir l'école que je veux, à Paris, loin de Maman, loin de tout, alors cela me va.

- Écoute Maëlle. On sait que les années passées ont été très dure pour toi notamment à cause de... Du départ d'Automne...

Un léger rire m'échappe et je croise le regard des trois adultes en face de moi.

- De la mort, vous voulez dire. De la mort d'Automne. Elle est pas partie à l'étranger hein, elle est juste morte. Pas la peine de prendre des pincettes avec moi, c'est pas comme si je n'avais pas vu sa mort.

Ils ont l'air interloqué par mon ton léger. S'ils savaient ce que me coûte ces simples mots... La souffrance que je cache, le temps que j'ai passé à tout enfouir au fond de moi...

- Oui, de la mort d'Automne. Alors si tes camarades en profitent pour... Comment dire, te faire du mal, moralement ou physiquement, il faut nous le dire.

Mon regard se fait dur.

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. je réponds fermement.

Ma main gauche à trembler, je la cache sous la table. Le surveillant soupire, lassé de mes mensonges.

- Maëlle, j'ai nettoyé ta table de ton cours de philosophie, je sais très bien ce qu'il y avait marqué dessus. Je ne sais pas ce que cela fait, mais je suis persuadée que ça ne fait pas sauter de joie. Alors s'il te plaît, arrête de raconter des bobards et accepte avoir besoin d'aide.

Son regard est presque suppliant. Il veut le meilleur pour moi, comme les deux autres personnes assises en face de moi. Je le sais, et cela me touche. Je me sens presque coupable de ne pas vouloir leur dire la vérité.

- Bon, Maëlle, on ne te demande pas grand chose. Il est déjà trop tard pour te changer de classe, et on ne pense pas que ce soit une solution. On parlera à tes camarades, sans dire de nom. On fera une campagne de prévention contre le harcèlement. Si cela empire, viens tout de suite nous voir pour nous le dire, et on avisera en temps et en heures. On veut également que tu ailles voir la psychologue scolaire de l'établissement, deux fois par semaines, pour vérifier que tout va bien. Est-ce que cela te semble raisonnable ?

Au ton de mon professeur principal, je devine qu'il est inutile de se battre. J'acquiesce à contre cœur, ce qui leur rend le sourire.

- Bien. Ton premier rendez-vous avec la psychologue est demain midi. On est heureux que tu ai accepté !

Ils se lèvent, et me raccompagnent à la porte. Je les salue, le cœur gros. Je n'avais pas envie d'accepter, mais je n'avais pas le choix. Maintenant il va falloir que je mente deux fois par semaines. Deux fois supplémentaires. Ça ne pourra pas être pire.

Courage Maëlle. Tout ça est bientôt fini ! Pense à l'année prochaine, à Paris.

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