Je me glisse de justesse dans le bus, juste avant qu'il ne démarre. Le chauffeur m'adresse un regard de reproche que je choisis délibérément d'ignorer puis valide mon titre de transport. La nuit commence à tomber, il doit être dans les alentours de dix-huit heures. Je sens l'arrivée d'une dispute dont je me souviendrais encore longtemps.
Je remonte le bus tandis qu'il démarre, et m'assoit à une place au fond. Les gens me dévisagent ouvertement, la tête sûrement remplie de questions auquelles je ne suis pas prête de répondre.
Je sais ce qu'ils voient. Une jeune fille, au visage bouffi par les larmes, aux lèvres tremblantes, aux yeux rouges, aux cheveux emmêlés, aux joues pâles. Ils voient aussi, pour les plus observateurs, mes mains couvertes de traces d'ongles, mon jeans sali par de la terre et des baskets pleine de boue. Peut être qu'ils se disent qu'une dispute avec mon copain, mes parents, ou des amis a mal tourné. Mais si seulement ils savaient...
Je regarde distraitement les immeubles se succéder. J'ai peur. J'ai peur de la confrontation qui va inévitablement arriver avec ma mère. J'ai peur de la bombe qu'elle va lâcher et que je ne veux pas reconnaître. J'ai peur des regards de mon père et de mon frère.
Ma main s'agite, ma cuisse tressaute. L'anxiété augmente.
- Ça va mademoiselle ?
Je me tourne sèchement vers mon voisin indiscret. Je le dévisage de haut en bas sans prendre la peine de répondre. C'est un homme, d'environ 40 ans, aux yeux bleus et aux cheveux bruns. Il a l'air sincèrement inquiet pour moi. C'est déstabilisant. Personne n'a, depuis longtemps, été inquiet pour moi.
- Mademoiselle ?
Son ton se fait un peu plus pressant. Il se penche vers moi tandis que je recule doucement avant de me cogner à la vitre.
Ce n'est pas de sa faute, je me répète, il ne peut pas savoir que tu ne supportes pas le contact des étrangers...
Mais c'est plus fort que moi, le voir se rapprocher me fait paniquer. Cela doit se lire sur mon visage puisqu'il penche la tête, et, se trompant sur l'origine de mon malaise avance la main pour m'enserrer le poignet.
- Amandine ! Ça fait longtemps ! Comment tu vas ?
Mon voisin sursaute et se tourne vers la personne qui vient de parler tandis que je ferme les yeux, replis mes bras sur mon ventre et remercie silencieusement mon sauveur. Même si je ne suis pas sûre que ce terme convienne, je n'étais pas sur le point de mourir.
- Tu as un don pour te mettre dans des situations épineuses.
Le registre familier de la voix me fait rouvrir les yeux. Je reconnais instantanément le jeune homme en face de moi. L'inconnu du toit. Il est toujours dans mes pattes lui.
- Heureusement que je suis là pour t'en tirer. crâne-t-il en s'installant dans la place laissée vacante à côté de moi.
Je soupire mais ne réponds pas. Je ne veux pas plus engager la conversation avec lui qu'avec l'autre homme. Mes mains se posent sur mes cuisses, doucement.
- Tu es fâchée ? Tu ne réponds pas...
Fatiguée par ses incessantes tentatives, je me tourne vers lui en expirant lourdement.
- Le silence, tu connais ?
Il ricane mais ne répond pas. Enfin. Le calme rétablit, j'observe à nouveau le monde extérieur, ignorant mon voisin. Chaque mètre parcourut me rapproche de ma mère. Si seulement je pouvais inverser le sens du bus... Je me force à respirer normalement pour ne pas attirer l'attention des autres passagers, mais intérieurement, la panique commence à gagner du terrain.
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Lueurs solitaires
Teen FictionMaëlle ne dort pas, elle en est incapable. Insomniaque depuis sa tendre enfance, elle montait régulièrement sur le toit, avant d'arrêter brutalement. Mais la vie est faite de rebondissement... Deux ans plus tard, cerclé par ses démons, elle ne tient...