Jour - 3200

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- Tu t'appelles ?

Je singe le ton de la fille en face de moi.

- Tu t'appelles ?

Elle lève les yeux au ciel, mais au lieu de s'en aller, comme les autres le font d'habitude, elle s'assied en face de moi.

- Moi c'est Lucy. Prononcé à l'anglaise s'il te plaît.

Je grimace devant la mention de ce pays. Je fais tout pour ne pas y penser, elle le fait exprès ou quoi ?

- Je le prononcerai comme je veux si jamais je le prononce.

Mon ton agressif la fait sourire, et je hausse les sourcils. Elle est pas totalement normale, elle.

- Je te vois manger seule tout les jours, alors que je me suis dit que je viendrai te tenir compagnie.

- C'est très gentil, mais je me débrouille très bien toute seule.

J'appuie sur ce mot pour lui montrer à quel point je m'en fiche. Elle ne relève pas, enlève son manteau et commence tranquillement à manger. Désespérant.

- Tu comprends pas quand je suis gentille ? Tu préfères que je t'insulte ?

- Ça serait mieux si tu mangeais, tu dois avoir faim quand même. Même si la nourriture du lycée n'est pas excellente.

Merci de me rappeler que je suis encore au lycée, j'avais oublié depuis le temps. J'ai redoublé mon année de terminale, parce que le travail que j'ai fourni sur le premier trimestre n'était pas suffisant pour me permettre d'avoir les écoles que je voulais. Et j'ai fait une pause juste avant le bac, que je n'ai pas passé. Comme l'ambiance s'est nettement détendu à la maison, cela ne me dérange pas, mais les moqueries et la mise à l'écart de mes camarades me pèsent.

Alors mon armure s'est renforcée. En tout cas vis à vis des gens de mon âge. Surtout après que Olivia m'a gentiment bloqué sur les réseaux. Ma première nouvelle amie. J'ai tout recommencé sur le bon pied.

- Je mange si je veux.

Je regarde mon ventre bedonnant. Enfin presque plat. J'y suis presque, et j'en suis fière. J'ai à peu près retrouvé mon poid. La fille hausse les épaules.

- Comme tu veux. Je ne fais que constater.

Et ses épaules s'abaissent, comme si elle était déçue. Je commence à me poser la question : pourquoi est-elle venue ici, avec moi, l'asociale de service ?

- Qu'est ce que tu veux Lucy ?

Elle relève la tête, surprise que je continue la conversation, même si mon ton moqueur ne lui échappe pas.

- Je sais pas. T'as l'air sympa. Je me demandais comment tu étais vraiment.

Je ricane. Elle me prend pour une idiote, donc. Sauf que je ne le suis pas, et que ce n'est pas comme ça qu'elle va réussir à esquiver mes questions.

- Mais bien sûr. Et la vraie raison, c'est quoi ?

Avant qu'elle ne réponde, un groupe de garçons passe derrière elle et le plus musclé -et beau- fait exprès de se prendre le pied dans son sac.

- Eh l'anglaise, fais gaffe à où tu mets tes affaires ! J'ai failli me blesser, ça t'aurait coûté cher de me rembourser les frais d'hopital !

Voilà donc la vraie raison. Et vu mon passé, et même mon présent, je ne peux pas rester silencieuse.

- Eh le singe primitif, regarde où tu marches ! Et si mes souvenirs sont bons, je te rappelle pour ton petit cerveau à peine développé, que la sécurité sociale existe ! On est en France ici baby, garde tes clichés pour tes séries américaines !

Ses potes rigolent puis arrête net devant son regard assassin. Fière de moi, je souris furtivement, mais ça n'échappe pas à Lucy. Les garçons s'en vont avant que je ne puisse ajouter quoique ce soit. Je bois une gorgée d'eau, considère mon assiette de purée, et à contre cœur commence à manger.

- Merci. murmure la fille en face de moi.

Je relève la tête et la regarde vraiment pour la première fois. Elle est d'origine asiatique, et a d'incroyable cheveux noirs aux reflets bleutés. Elle est très belle.

- De rien. Je comprends tu sais. Tu devrais pas rester comme ça renfermée sur toi. Je... J'ai fait ça, l'année dernière, et je l'ai beaucoup regretté.

Elle hausse les épaules.

- Ça ne.. Ça ne me touche pas vraiment.

- Penses-y quand même. Je m'appelle Maëlle.

Elle a un petit sourire.

- Je sais.

Pas vraiment étonnée, je sais depuis longtemps que mon nom est assez connu par ici, je ris doucement.

- Je m'en doutais.

Lueurs solitairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant