Nuit 12

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Maman pose un bouquet de lis sur la pierre tombale en retenant ses larmes. Je le vois au frémissement de ses épaules, et à ses reniflements incessant. À côté de moi, Papa passe un bras autour de nos épaules avec Mathias. Sans bruit, nous nous rapprochons tous les uns des autres.

Maman nous rejoint, et on se serre tous. Comme ça, on dirait une famille unie. Une famille qui vient déposer des fleurs sur la tombe d'un aïeul. Une famille dont la plus grande épreuve a été cette mort. Si seulement. Si seulement les gens ne s'arrêtait pas à la première impression. À ce que les gens renvoient.

Nous, nous ne sommes rien de ce qu'on peut penser. On est une famille brisée. Brisée dans ses liens, mes parents vont divorcer, ma mère et moi n'avons plus de communications correctes. Brisée dans l'essence même d'une famille, ses membres. Mais cela, seul un habitué de ce cimetière peut le savoir.

La tombe d'Automne nous contemple. Elle est belle, à l'image de ma petite sœur. Marbre légèrement rosé, le nom est marqué en blanc. Une photo  l'orne, ainsi que les bouquets déposés au gré des semaines par les membres de la famille.

- Elle me manque. confit à mi-voix Mathias.

Je lui presse plus fort la main.

- Moi aussi.

- C'est normal... murmuré-je devant le mutisme de ma mère.

Je sais qu'à elle aussi elle lui manque. Maman a toujours été fusionnelle avec Automne. Ce que je lui ai révélé l'a blessée, comme les autres, mais d'une manière que Mathias et moi ne pouvons pas comprendre. Elle s'est sentie blessée dans son rôle de mère, de confidente, d'amie. Je sais aussi que j'aurai du lui dire beaucoup plus tôt. Mais moi, je n'étais pas prête.

Sans que nous nous concertons, nous décidons de partir. Nous tournons dos à la tombe. Dos à Automne. Dos à notre vie passée. Et même, d'une certaine façon, dos à notre famille.

La nuit va bientôt tomber, on est aux alentours de dix-huit heures. Le froid a depuis longtemps percé la protection de ma doudoune. Nous nous dirigeons vers la voiture et le chauffage, ce qui n'est pas si mal. Papa allumé directement le moteur et je soupire de soulagement en sentant de l'air chaud souffler sur mon visage.

- Bah alors Maé ?

- J'ai froid. répliqué-je en tirant la langue.

Un mince sourire ourle leurs lèvres. Je suis satisfaite. Enfin un peu.

- D'ailleurs demain matin il faut absolument que tu ailles au lycée. Ils m'ont appelée hier pour savoir pourquoi tu as été absente ces derniers jours.

Oups.

Je savais que je ne pouvais pas compter sur eux. Maintenant Maman va se poser des questions, et je déteste ça. Je n'ai toujours pas confiance en elle, en réalité.

- Je...

- Tu ne m'avais pas dit non plus que tu devais aller voir une psy.

- Je...

- Et que tu étais harcelée. Par Aimée. Tu m'expliques ?

- Je...

- Tu es harcelée par Aimée ?

- Mathias ce n'est vraiment pas...

- Bien sur que si ! Aimée est ta meilleure amie, est-ce que je peux savoir ce qu'il s'est passé ?

- Rien ! Vraiment juste...

- Ne mens pas chérie ! On est là pour ça !

- Ah oui ? Ah oui vous êtes là pour ça ? Vous avez été là, ou vous avez l'impression d'avoir été là ? Non mais parce que moi je me souviens de Mathias qui passait ses journées avec ses potes et maintenant avec Chloé, qui refusait de me parler. Je me souviens de Papa qui lui refusait de parler à tout le monde et qui en plus a carrément déménagé je ne sais où, et puis je me rappelle de Maman qui me hurlait dessus à chaque fois que je franchissais le seuil de ma chambre !

- Ma...

- Vous voulez savoir pourquoi est-ce que j'ai été harcelée par Aimée ? Parce que j'ai eu le malheur de lui avouer mes sentiments, et qu'elle n'a rien eu de mieux à faire que de me faire espérer en m'embrassant avant de me descendre devant tout le monde ! Mais vous ne savez rien de tout ça hein. Pourtant j'aurai pu vous le dire, être honnête. Mais non. On se demande pourquoi.

- Maëlle...

- J'ai pas envie de parler de ça. Papa arrête la voiture s'il te plaît.

J'ouvre la portière et saute sur le trotoire en évitant les flaques d'eau. Mathias fait mine de vouloir me suivre mais je lui ferme la porte au nez. Je suis à bout. Je n'avais pas l'intention de tout avouer comme ça. Je n'avais pas l'intention d'être poussée à bout comme ils viennent de le faire. Je ne voulais pas que cette journée se termine comme ça. Je voulais marquer une réconciliation, récupérer les années perdues. Super, vraiment.

Les larmes coulent sur mes joues sans discontinuer depuis un moment. Je marche en direction de l'appartement sans m'arrêter. Je voudrais aller autre part mais je ne peux pas. Je suis fatiguée, lasse. J'en ai marre de cette vie, j'ai envie que des choses bien arrive. Si seulement Jules était là pour m'épauler ! Mais non. Il doit être chez lui. Je ne vais pas aller sonner au milieu de la soirée, trempée, et en larmes.

En plus, demain je vais devoir aller au lycée, et avoir ces rendez-vous avec la psychologue. J'appréhende, forcément. Ce n'est pas pour me rassurer. Mais je n'ai pas le choix. Je relève la tête, et je continue à marcher. C'est comme ça que je fonctionne, comme ça que j'ai toujours fonctionner.

***

- Tu es rentrée.

Le constat de mon père ne m'arrache même pas un frémissement. Je hausse les épaules et laisse tomber mes clés sur le buffet. Je passe dans le salon dans le silence le plus total. Ils sont tous là, assis, à m'attendre. Ça sent le conseil familial. Espérons qu'il ne se termine pas comme le précédent.

- Qu'est-ce que vous voulez cette fois ? demandé en m'asseyant.

Ma mère soupire, mon père tousse et mon frère regarde ses chaussures. C'est bien partie. Lequel craquera en premier ? Mon père, comme toujours.

- Maëlle... On peut concevoir que ces derniers jours ont été difficiles pour toi. On en a conscience et on en avait déjà. Mais on a pensé que tu étais assez grande pour gérer ça. Apparament pas. On a fait une erreur et il faut que l'on répare cela. Mais ce n'était en aucun cas une raison pour rater des cours, partir le soir je ne sais où, découcher, ou même t'inventer une relation.

Je fronce les sourcils.

- Jules nous a dit. marmonne Mathias.

Je me laisse tomber dans un canapé.

- Je... Je sais pas quoi dire. Je n'ai pas d'excuses. Vous le savez. Donc bon... Je suis désolée.

- Ce n'est pas suffisant Maé. On sait que... Voilà on a pas été des patents super dernièrement et surtout moi, mais ce n'est pas une raison ! L'année prochaine, tu vas te retrouver sûrement toute seule pour tes études, et être désolée pour telle ou telle raison ne sera pas suffisant et tu le sais. Arrête juste de faire n'importe quoi d'accord ? Regarde-toi... T'es mince, trop mince, tes notes sont en chute libre, t'es heures de sommeil aussi...

La colère gonfle en moi comme l'eau derrière un barrage. Une vague se forme et ne demande qu'une chose, se déverser. Et pour une fois, après toutes ses années à faire attention, j'ouvre les vannes.

- Petit un j'espère bien me retrouver seule l'année prochaine, je n'en peux plus de vous et de vos remarques incessantes. Petit deux pour mon poid, je sais très bien ce que je fais et je te signale maman que la première a vouloir que je devienne plus mince, c'est toi ! Petit trois, mes résultats vont très bien merci de vous inquiéter ! Petit quatre, mes heures de sommeil ne vous concerne pas et ce n'est sûrement pas vous qui allez m'aider !

Je me lève, furibonde et traverse le salon à pas lourd. Je sens leurs regards posés sur mon dos. Ils savent que j'ai raison, et c'est pour cette raison que je sais qu'ils me laisseront monter sans problème. La nuit passera, et on avisera demain. Comme à chaque fois ces derniers jours.

Je trouve la phrase de Scarlett O'Hara un peu trop utilisé dans ma vie, actuellement. D'un autre côté...

Demain est un autre jour.

Lueurs solitairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant