Jour - 2800

59 9 6
                                    

La porte de mon studio claque derrière moi, et je m'arrête net. La lumière est allumée, la télévision en marche, et une odeur de pomme de terre grillée flotte dans l'air. Je reste interdite, dans la petite entrée de mon studio, le seul endroit où on ne peut pas voir l'ensemble de la pièce.

- Euh... Bonjour ?

La tête d'une Lucy joyeuse apparut en face de moi. Je pousse un soupir de soulagement et passe à côté d'elle pour poser mes affaires.

- Tu m'as fait peur !

Elle rit doucement et m'embrasse enfin. Je l'attrape par la taille et elle enroule ses longues jambes autour de moi, me faisant tituber sous son poid.

- T'es lourde ! je ris en m'asseyant sur le canapé et en l'installant sur mes genoux.

Elle tire la langue et m'embrasse la joue.

- Remercie moi plutôt d'avoir fait tout le trajet depuis Lyon pour venir voir ta petite personne !

Je me mords la lèvre. Lucy fait quasiment tout les trajets pour qu'on se voit, et je culpabilise beaucoup parce que je sais que je ne mets pas assez de moi dans cette relation. Pourtant, aujourd'hui, j'ai une bonne nouvelle.

- Je sais, je sais et j'en t'en remercie. J'ai le temps d'aller prendre une douche avant le dîner ou... Pas?

Elle consulte sa montre.

- Ça dépend tu préfères la viande cramée, ou saignante.

Je grimace. Elle connait mes points faible.

- À table mademoiselle.

Elle se moque ouvertement de moi.

- Et voilà.

Je m'assois sur une chaise, impatiente de goûter ce que ma copine m'a préparée. Un steak, ou une des viandes que je préfère, atterrit dans mon assiette, accompagné de pommes de terres sautées. Un sourire s'épanouit sur mon visage.

- Tu sais que tu es la meilleure petite amie du monde toi ?

Lucy prend un air de fausse humilité.

- Et bien maintenant que tu le dis...

Je tire sa chaise et lui fais signe de s'asseoir avant qu'elle n'ajoute quoique ce soit. Elle éclate de rire et m'entraîne avec elle. Je suis heureuse. Cette constation me frappe de plein fouet. Je suis heureuse, et c'est grâce à elle.

- Lucy...

Mon ton est redevenu sérieux. Elle pique une pomme de terre et attend que je continue.

- La semaine prochaine je retourne chez Delphine et Thibault. Je veux voir mon frère et puis Nov'. Tu veux venir ? On peut t'héberger si tu veux pas que tes parents te voient...

Elle sourit doucement. Et mon cœur se serre. Est-ce que elle aussi elle sent que la distance entre Lyon et Paris rend notre relation compliquée et tendue ? Est-ce que elle aussi elle sent que le week end prochain est comme une dernière chance ? Est-ce que elle aussi elle veut se battre pour que le "nous" existe encore ?

- Maëlle...

Je ne sais pas ce qu'elle va m'annoncer mais mon nom ainsi ennoncé ne me paraît pas de très bon augure. Elle soupire et laisse retomber sa fourchette.

- Tu te souviens quand tu m'as fait rencontrer November ? Je t'ai dit que ça ne serait pas un frein à notre relation, et qu'au contraire, ça allait nous rapprocher.

Je m'apprête à protester mais elle embraye sans m'en laisser le temps.

- Je le pense toujours. Mais... Il faut avouer qu'on est jeune, tu as dix-neuf ans j'en ai dix-huit, et... Je pense qu'on est trop jeune pour s'engager dans quelque chose de durable à distance. Je pense qu'on devrait vivre notre vie chacune de notre côté, continuer nos études et puis... Et puis si l'univers le veut on se retrouvera.

Mon cœur ne se brise pas en mille morceaux. Les larmes ne viennent pas. Les excuses et les supplications non plus. Je reste juste... Comme ça. Et puis un goût amer envahit ma bouche. Et je me mets à rire aux larmes sous le regard interdit de la belle brune.

- La dernière fois que j'ai dit à quelqu'un qu'on remettait notre relation sous le signe du destin, et bien... Je ne l'ai toujours pas revu. Alors oui, ça fait que deux ans. Mais ça fait encore huit à attendre. Écoute Lucy... Si c'est ce que tu veux, très bien. Vis ta vie, je vivrai la mienne.

Elle sourit doucement, visiblement soulagée.

- J'étais pas du tout venue pour ça à la base mais bon. Life is life.

On rit toutes les deux et commençons à manger.

- Alors, ça avance comment la psycho ?

Sa question me fait soupirer.

- Lentement. Mais bon. Tant pis. J'aime quand même beaucoup.

Elle pose sa main sur la mienne et me regarde tendrement. Je regarde nos mains, puis son visage, puis nos mains...

- Au pire...

- Sinon...

On rit à nouveau et ça fait chavirer mon cœur.

- Vas-y. l'invité-je à commencer.

- On a qu'à... Se faire une relation sans pression. Non exclusive ou un truc comme ça. On se voit quand on veut, on passe des bons moments ensemble... Mais ça s'arrête là. On oublie les sentiments, on oublie la jalousie... Je sais pas moi. Je sais que c'est dur mais...

- Mais j'ai pas envie de tirer un trait sur toi et je comprends que tu es besoin de vivre ta vie. T'inquiète pas Lulu. On fait comme ça. J'ai toujours été plus sédentaire que toi.

Elle lève les yeux au ciel et m'embrasse délicatement.

- Ça tombe bien parce que... Y'a une fille qui me drague depuis octobre à Lyon, et ça me fait mal au cœur à chaque fois de la recaler.

J'effleure ses lèvres des miennes à nouveau, ne serait-ce que pour sentir leur contact. Sa phrase me fait mal, mais c'est comme ça. Il va falloir que je m' y habitue. Et c'est mieux, une sorte de transition en douceur, qu'une rupture pure et simple.

- Dis-lui que tu es libre comme l'air elle sera contente.

Son souffle échoue sur ma peau et je le sens s'accélérer. Je la consulte du regard.

- J'ai pas encore descendu le lit mais le canapé me paraît très bien... La viande et les pommes de terre, ça se réchauffe non ?

Elle rit doucement.

- Quand bien même ça se réchaufferait pas, j'en aurai absolument rien à faire.

Elle pose avidement ses lèvres sur les miennes et m'entraîne vers mon salon.

Lueurs solitairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant