Chapitre 6

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À cette époque-là, nous avions quinze ans. Je t'avais dit que sans toi, j'étais incapable de vivre. Bien que nous le crussions, nous savions tous les deux, tout au fond de nous, qu’il s’agissait d’un mensonge. C'était de ces petits mensonges-là qu'ont besoin certaines relations pour exister. Des mots comme "Tu es ma raison de vivre !".

Mais parfois, les raisons de vivre peuvent devenir une raison de mourir. Je vais m'expliquer. Depuis que tu es partie, j'en ai marre de dire "Depuis que tu es partie…". À cause de toi, j'ai débranché la télé. Et je crois qu'un de ces jours, je casserai la radio. J'ai l'impression que le monde ne veut plus que nous soyons deux. J'ai l'impression que je me meurs. Je t'avais promis de me suicider si tu ne revenais pas dans deux mois. Je déconnais, c'est tout mon corps qui se tue pendant que j'essaie de rester en vie parce que je t'aime et que je voudrais revoir tes yeux pour te murmurer dans le noir les mots qui sont bloqués dans mon cœur. Je voudrais seulement que nous nous revoyions avant la fin du monde. Je voudrais te prendre dans mes bras, te serrer fort à en perdre le souffle.

Les nuits, j'ai des souvenirs qui me remontent à l'esprit. Je me rappelle le soir où j'avais acheté du champagne et que nous avions grimpé sur le toit de la maison. Nous étions restés à quelques pas l'un de l'autre. Lorsque nous fûmes fatigués de parler de livres, nous nous étions couchés parterre. Nous étions près, très près...
J'avais pris ton visage entre mes mains et j'avais vu l'horizon dans tes yeux. J'arrivais même à entendre la douce mélodie de ton cœur.

Plongé dans ton âme, dans tes yeux. J'avais murmuré :

-Toi, Laura, veux-tu m'épouser ?

Je vus un torrent de larmes écraser les frontières de ton âme. Je lus sur ton visage un mélange de joie de tristesse. Je t'avais demandé :

-Pourquoi es-tu triste?

Tu avais souri et répondu :

-Oui, je veux t'épouser, mais je pars dans deux jours pour la France.

À ce moment-là, je ne savais pas ce qui m'énervait le plus. Ce que tu venais de m'annoncer ou le fait que tu eusses choisi de me dire ça à cet instant. Je m’étais redressé, je t'avais donné ce regard qui te fait flipper et étais descendu dans notre chambre afin de remettre la bague à sa place. J'avais de plus, jeté les roses que je t'avais achetées. Tu venais vraiment de me briser le cœur. J'avais cependant oublié de penser qu'on pouvait nous marier sans que personne ne le sût. Nous marier seuls, sans les papiers, sans la famille. Nous marier avec notre amour comme seul témoin. 

Mais ma colère m'avait aveuglé et j'avais passé la nuit à fumer. Je m’étais endormi dans la salle de bain, tu m'avais soutenu et m'avais porté jusqu'au lit. Le lendemain, j'avais trouvé des roses sur le lit et tu avais écrit "Je t'aime" sur mon torse. Exactement là où palpite mon cœur. Je ne trouvais pas les mots pour te répondre. Je les cherchais mais en vain. Tu étais en train de cuisiner, alors j’étais venu. Je m’étais rapproché de toi et collé à toi, avec toute mon âme, toutes mes forces. Je t'avais serré dans mes bras, tu t'étais laissé aller. Je t'avais chuchoté à l'oreille cette phrase :

-Reviens-moi.

Tu avais souri et avais sauté à mon cou. J'avais respiré ton parfum pour ne plus le perdre. Je t'avais respiré à plein poumons, t'avais attiré jusqu'au lit, là où seuls nos souffles se faisaient entendre. Nous étions hors d’haleine à la résonance de nos corps. Je cherchais tes yeux, mais ils étaient fermés. Ainsi, je m’étais assouvi de tes lèvres pour te conter la fournaise que tu avais allumé en mon corps. Je dessinais sur ton cou une avalanche de baisers pour te faire suer de rosée et pour nous noyer dans la chaleur de nos cœurs. Tu t'ouvris à moi, comme s'ouvre une forêt magique. Peau contre peau, soutenus par nos mains, j'avais planté mon arbre plastifié dans la forêt noire en forme de triangle. Nous fîmes un, devant Dieu et devant notre amour.

Je ne t'avais jamais promis la lune, je t'avais promis le ciel en entier. Je t'ai donné plus que mon cœur, je t'ai conté mon histoire. Je t'ai murmuré mes secrets, mes amours, mes démons et mes peurs. Mais il y avait toujours un truc qui ne suffisait pas. Je veux dire, c'était comme si les mots ne pouvaient pas tout dire ; car certains mots ne disaient que l'essentiel de ce que l'on pouvait voir de nos yeux. Ils étaient trop banals pour expliquer la mécanique de nos cœurs.

Lorsque nous cherchions les mots, nous restions là, scrutant le ciel et une enfance qui ne nous a pas attendus. Nous nous demandions depuis quand nous étions aussi grands, comment notre esprit avait-t-il pu faire pour s'adapter à cette vile enveloppe que nos tristesses, nos peines, nos silences et nos solitudes ont fait croître pour un jour disparaître sous la terre.

-Si nous étions comme le soleil! As-tu soufflé un jour.

J'ai regardé le soleil en plissant les yeux. Subséquemment, j'ai regardé ce paysage vivant à ses dépens, les fleurs qui ne vivent que dans sa lueur, les misères qui s'amplifient de sa chaleur. Ce n’est qu’après que je nous ai regardés tels deux cœurs qui s'aimaient, ignorant toute la dimension et la longueur du fil de la vie, ignorant par-dessus tout que les circonstances avaient un pouvoir plus effrayant que la destinée. Ensuite, tu m'as regardé dans les yeux et j'ai vu le soleil briller dans tes prunelles. D'une voix attendrie, tu as susurrée :

-Tu sais, le soleil vit et se meurt. Mais il reste toujours le soleil. Si nous étions seulement comme ça. Si les sentiments, les regards, nos cœurs ne changeaient pas, je crois que les amours seraient  sempiternels.

J'ai souri, comme je n'avais jamais souri. Je promenais mes regards sur ta peau éclairée par le soleil. Et puis dans l'espace d'un silence, j'ai lâché :

-Le soleil qui vit et qui se meurt est une illusion. Quelqu'un qui ne change pas est une illusion. Nous avons besoin de changer pour affronter le temps. Certains de nos sentiments sont nés pour disparaître. Il suffit de regarder aussi loin que possible.

-Tu penses que tes sentiments pour moi disparaîtront un jour ?

Je ne connaissais vraiment pas la réponse à cette question. Il y avait des réponses qui devaient seulement exister dans les tréfonds du cœur, pour que la question soit éternelle et également pour que l'avenir ne dépende pas d'une phrase ou d'une réponse, pour que l'avenir dépende de ce que l'on ressent maintenant.

Je t'ai regardé, ai souri et t'ai prise dans mes bras. Tu avais tout compris, c'était le seul moyen de traduire les mots...

Certaines images me remontent à l'esprit. Elles font tellement mal que j'ai l'impression que Cupidon même me plante des flèches dans les yeux. Je suis sûr que c'est pour ça que mes yeux pleurent quand j'y pense. Tu te rappelles de ce garçon qui habitait le même quartier que toi ? Je t'avais toujours montré que je le détestais, tout simplement parce qu'il te parlait. Ce n'était pas de la jalousie, c'était plus fort que ça. 

Durant cette époque, je ne t'avais pas encore avoué ce que j'avais sur le cœur. Je n'avais pas encore le courage ! Si seulement tu m'avais permis de t'embrasser, tu aurais compris, et le courage serait venu. Je te parle de ce type, tout simplement pour que tu saches ce que j’ai ressenti, lorsque j'ai entendu ce type dans ton appartement. Je ne veux pas te dire que tu es mon bien privé- une personne à qui j'ai donné mon cœur est plus que mon bien privé. Si je dois te perdre, je dois me perdre aussi. Car tu es tout ce qui me fait vivre ! Souviens-toi de nous, souviens-toi de tes promesses. Ne me demande pas ce que je ressens, dis-moi ce que tu ressens.

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