Chapitre 15

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La lueur de la torche s'agitait dans les entrailles de la nuit. Je ne voyais ni étoiles, ni ciel. Je n'avais pas pu faire pleurer Justine en lui avouant. En lui brisant le cœur. Tout en nous murmurant des mots que l'on dit quand tout espoir flétrit, ils nous ont séparés et elle a disparu. Je n'ai entendu que le silence dénudant ses bruits, que le vide craquant de son plein.

Mes yeux étaient ouverts, ils n'étaient plus ensevelis dans ce tissu funeste. Mes paupières assoupies contemplaient les murs engloutis dans le noir. Des ombres dansant sous la magie d'une torche faisaient valser mon esprit. Mes os tremblaient, j'avais froid et mes genoux s'entrechoquaient. Une silhouette vague était sous mes yeux. C'était un homme, ou une femme, je n’en savais rien. Que ce soit un humain ou même une bête, je m'en fichais. Il n’y avait que l'effet de la torche qui chatouillait mon esprit.

-Tu es là ? Tu es là ? répétait la forme.

-Ouvre les yeux ! me conseillait la torche.
Elle ne parlait pas mais mon esprit la faisait parler. La chaise craquait sous ma corpulence et surtout sous le poids de mes pensées. Je ne parlais pas, j'essayais seulement. Et c'était impossible. Des mots se formaient dans mon esprit et se dissipaient dès qu’ils arrivaient sur mes lèvres, tels des soupirs. Les larmes ne roulaient pas sur mes joues, préférant pleurer en mon cœur.

-Tu veux fumer, hein ? Marie dit que tu as un faible pour les cigarettes.

Les mots de la silhouette martelaient ma conscience et me mettaient dans un état de choc, tout pendu au fil de mes souvenirs. Les mots ne parlaient plus. Mais les silences, ces silences assourdissant dans les tréfonds de ma tête en disaient plus qu'ils ne pouvaient en dire. Aucun soupir ne s'est échappé de mes lèvres cette fois-là. Même la torche ne me disait plus rien. La cigarette, elle, était muette.

La forme taillé sur la toile de la nuit reprit :

-Elle t'aime tu sais. Et crois-moi, Marie t'aime vraiment.

J'acquiesçai un sourire ; il fut diabolique comme dans un film d'horreur, comme un clin d'œil du Diable en personne ... Ou peut-être comme un sourire perçant.

De quelle Marie parlait-il ? La mère de Dieu ? Ou la vierge qui avait mis au monde un bébé en restant vierge ?

Mon interlocuteur crut que mon sourire était une réponse. Ou pire, une marque d'attention. Ce n'était rien de tout ça. C'était l'expression d'un silence, aussi percutant qu'un orage fissurant un verre.

-Je suis Éric, tu peux me faire confiance. Je ne te veux aucun mal.

Je ne redoutais de rien. Ni du Mal, ni du Bien. J'étais vide et les séquelles de Laura et de Justine s'évaporaient par mes pores.

Éric déposa sa cigarette à demie décédée entre mes lèvres. J'ai inspiré le nuage gris, celui qui annonçait maintenant un ouragan dans mon esprit et qui allait faire croître les fleurs fanées de mon cerveau. Ce n'était pas du tabac ni de la marijuana. De ça, je n’en avais jamais goûté. Qu'est-ce que c'était ? Je n'en savais rien. Mais tout, absolument chaque molécule de mon corps et de mon cœur touchait le ciel. Je te voyais Laura. Pas comme je te vois toujours. Je te voyais comme je voyais Justine et je t'aimais comme je ne me suis jamais aimé. Tes yeux comme la nuit perlaient de la marque de la lune. Tes doigts comme un matin étaient aussi doux qu'un sourire de Justine dérobé. Tu m'as regardé et tu as dit :

-Marie est prête à tout faire pour conquérir ton cœur.

-MERDE !

C'est ce que j'ai répondu, je n'ai pas réfléchi. Je l'ai dit.

Mes capacités cognitives perdaient de leurs fonctions. Cela me faisait un très gros bobo dans le cœur. J'étais libre comme cette fumée qui se déformait. J'étais coincé comme ce souvenir qui me reparlait de moi.

-Hey ! Calme-toi ! Pas de pression, balbutia Éric d'une voix amicale tout en me tapotant le dos alors que je vomissais en toussant des monceaux de fumée qui s'étaient égarés dans mes yeux.

Mes bras étaient toujours attachés, mon esprit tout autant. Éric s'était glissé jusque sur le sol. Il a lâché :

-Je n'ai jamais personne à qui parler. Car personne ne me comprend ici. Mis-à-part elle...

Éric brandit la machine à fumée devant mes paupières et reprit en fixant un point invisible dans le mur.

-Il n’y a qu'elle. Mais elle me tue. Et toi, tu sais ce que ça fait d'être seul, de vouloir être compris sans avoir à s'expliquer ?

Une chose incroyable se passait en moi : je guérissais ! J'ai ainsi pu articuler d'une voix tremblante :

-On n’est jamais seul quand on est avec soi-même !

Un soi-même que mon moi-même ignorait, que le monde entier ignorait. Éric m'a fixé, puis a fumé en expulsant des formes grisâtres dans le vide. Il a ensuite ajouté entre ses dents :

-Et quand la solitude a détruit le soi-même ? Et surtout quand... tout n'as plus aucun sens ?

-Alors fume et fous du sens à tout. Moi je le fais en écrivant. J'écrivais dans le temps.

-Tu écrivais quoi ?

-Des poèmes. Des poèmes pour Laura.

Je pleurais, mes yeux languissaient dans une mare alors que mon cœur avait pâli, bien que n’ayant évoqué que son nom, qu'elle, que toi, Laura.

-Tu ne lis pas ses messages, j'ai vu ton portable. Elle t'en envoie un, tous les jours.

Cet Éric en savait trop... Des gens vous enlèvent, fouillent votre portable et vous font la morale à propos de votre relation. C'en était trop, beaucoup trop. Tellement odieux que je me décidai à me murer dans un mutisme absolu.

-Elle va t'appeler, attends un peu, me promit Éric.

Quelques minutes après, la sonnerie retentit. Elle assomma mon cœur et fit rougir mes yeux. Mon agresseur décrocha. Laura, perdue, criait « Allô ? » dans l'appareil. Éric mit le portable près de mon oreille. J'avais peur, je craignais de retomber amoureux. D'une voix similaire à mon angoisse, je lui soufflai :

-Allô.

-Sandro, c'est toi?

J'avais oublié l'effet que sa voix procurait à mon être. J'avais oublié ses bienfaits et sa tendresse. J'avais oublié que sa voix dessinait des étoiles dans nos nuits les plus sombres. Elle était aussi douce que fragile. Aussi Laura que Justine.

Recraché par mes pensées, j'ai répondu :

-Oui, c'est moi.

Elle commença à paniquer. De fait, elle pleurait tout en parlant :

-Ils m'ont dit qu'ils t'ont kidnappé. Ils ont demandé une rançon parce que sinon ils disent qu'ils vont te tuer.

-Ne t'inquiète pas, la rassurai-je.

-Comment ne veux-tu pas que je m'inquiète ? Ça fait des mois que tu ne m'écris plus ! Tu évites mes appels et tu quittes la maison en plus.

-Mais je t'aime !

-Mais je le sais que tu m'aimes.

-Tu ne sais pas.

-Pourquoi tu me fais ça ? Pourquoi tu me fais autant souffrir ?

Il n’y avait pas réponse à cette question. Je voulais seulement disparaître sous l'étreinte de ses mots. Elle ajouta :

-Ma mère dit qu'elle n'a plus de tes nouvelles, elle pense que tu es mort.

-Ne t'inquiète pas.

-J'ai peur parfois, j'ai envie de parler. Mais il n’y a personne dans ma chambre. Il n’y a que tes souvenirs qui dansent dans ma tête. Il y a nos promesses aussi.

-Tu veux dire les mensonges, ceux qu'on se dit pour rester heureux.

-Non, je parle de ces promesses qui font vivre et espérer.

-Les mensonges ont le même effet.

-Où es-tu maintenant Sandro ? J'ai récupéré tes affaires. Ma mère s'est occupée de la maison. Je voudrais que tu rentres.

Éric me scrutait tellement que je rentrai sous la terre à cause de son regard. Je criai :

-Je suis toujours kidnappé ! Laura, sauve-moi, ils vont me tuer !

À l'instant où j'eus achevé ma phrase, le poing d'Éric atterrit au niveau de ma mâchoire. Il raccrocha, puis s'approcha de moi. Je lui crachai mon sang au visage. Il me regarda une dernière fois et ajouta :

-J'ai essayé d'être sympa avec toi… Et c'est comme ça que tu me remercies !

-Va au diable ! criai-je à nouveau.

-C'est toi qui iras au diable. Tu y iras avec Marie.

Ses yeux cramoisis, ses cheveux rasés noir d'ébène et son caractère démontrant qu’il est le pire connard sur terre apparurent quand il jeta Justine presque nue dans la pièce. Elle pleurait. Elle avait les mains liées, les cheveux en pagaille. Elle était devant moi.

-Justine ! Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?

Elle ne pouvait pas parler, elle sanglotait. Elle n'était plus. Elle mourait. Elle m'oubliait.

-Je t'aime ! ai-je lâché.

Cela ne l'a même pas touchée, le mot magique n'avait plus aucun pouvoir. Il fallait plus que des mots. Je devais poser ma main sur son épaule pour lui dire que j’étais là, que je l'aime et qu'elle n'a pas besoin de pleurer. Je le lui dirais sans rien dire. Avec un silence, je lui dirais tout, je lui montrerais tout : mes démons à moi, mes tristesses, mes angoisses et mes peurs. Je serais pour elle et elle serait pour moi. Nous resterions ensemble, contre puériles et face à ces mots que l'on ne se dit plus et qui causent encore des maux.

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