Chapitre 14

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J'entendais le grincement des pneus sur la chaussée. Pas un morceau de lumière n'a traversé mon cœur, pas plus que le coffre du véhicule. J'étais coincé, mes maux et mes mots se frôlaient et s’entrechoquaient  dans mon esprit. Je repensai à ce poème que j'avais écrit. Je l'avais éjaculé sous forme d'encre en branlant ma plume de mon ressenti, de mon silence et de mon désespoir. Ceux que l'on ressent durant les nuits blanchies par la déception et la solitude, qui sont d’un noir si sombre qu’aucun cœur n’ose palpiter pour nous bercer.
Ce soir-là, je m'étais endormi ivre, livré aux monstres de ma nuit et à la noirceur de mes rires. Mon poème disait :

« Les ivrognes réveillent les carrefours
Fracassés par le pourvoir des loas
Qui, sans foi ni loi,
Rejoue leurs tours
Qui rassasient les ignorants
Et banalisent les croyants.
Mais tuant la société
En égorgeant la vérité. »

Ce sont des vers que l'on écrit quand on est saoul. Lorsque le verre et la nuit se touchent par le plafond. Lorsque les tentacules de l'ennui s'attachent à notre fragile personne. Et ces dernières font du temps un silence assourdissant tel le tremblement généré par la voiture de mon esprit se percutant aux heures de la nuit. Ces vers tremblaient comme les ombres du soir.
   
                                     ***

Quand tout était devenu clair, j'étais attaché à une chaise. Les yeux bandés, j'attendais mon verdict. Je perçus des voix tout aussi barbares que bizarres. J'attendais... Était-ce des minutes, des heures ou des jours ? Mais l'aiguille de ma montre imaginaire n'avançait pas. Mes angoisses et les craintes qui m'entouraient nous empêchaient lui et moi de bouger. Alors immobiles, nous sommes restés à attendre. Ce fut un choc. J'ai voulu pleurer mais je me suis tu.
   
                                  ***

Aux vertus de ce poing qui percuta ma mâchoire ! Ce coup ravageur m'avais démoli une molaire et également ma vigueur en tant qu'homme. Mon corps perdait tout son équilibre dans cette position de lâcheté. Mes yeux étaient toujours clos, engloutis dans leur fenêtre garnie de mes paupières. Mes dents grincent, mes poings se serrent. J'étais énervé ! Mais pourtant, ma colère se dissolvait dans mes soupirs pendant que mes sueurs s'évaporaient.

Tout à coup, des doigts caressèrent ma peau. Mon esprit chatouillé rigolait dans mon pantalon. Des lèvres étrangères essayaient de tarir de leur cœur le sang séché sur ma bouche. Je savais que c'était bien un cœur qui laissait exprimer une soif si compacte car elles l'ont fait passionnément, tendrement. Mais je n'ai pas répondu. Mes lèvres comme mon cœur étaient restés froids et muets. Mon corps se consumait…

-Tu me reconnais ? Questionnèrent les lèvres qui m'avaient embrassé.
Cette voix répugnante, ces lèvres sans saveur. Et ces touchers chatouillants, écœurants. J'avais honte de mon corps, il avait répondu à l'infamie incarnée, à Marie-belle. Aux ténèbres du port de l'ombre- j’entends par là ma chambre.

Je ne répondis pas à sa question et suis resté aussi silencieux qu'une pierre. Alors Marie-belle ajouta :

-J'ai décidé que tu seras éternellement à moi !

-Plutôt mourir ! rétorquai-je.

-Tu ne vas pas mourir. Tu seras mon jouet, tu seras à moi jusqu'à ton dernier souffle.

-Entendre ta voix me suffit pour tout connaître de la répugnance.

Elle me gifla sur le coup, mon visage languit et mes sens pâlirent.

-Prépare-toi à mourir en m’aimant moi !

-Va au diable ! ai-je parvenu à répondre.

-J'irai au diable avec toi en ce cas.

Elle se jeta sur moi et fit de mon corps un lit de baisers dévergondés. Elle lâchait, de plus, des phrases romantiquement  immondes.  J'en perdis mes moyens, me sentis nu. J'entendais Marie-belle haleter ; mon corps était profané mais mon cœur était toujours aussi pur. C'est peut-être cela un viol ? Mon intimité frôlait la morbidité. Marie-belle chevauchait sur mon partage à sentiments. Celui que vous, Laura et Justine, avez connu. Celui qui vous faisait danser en ayant la tête dans les étoiles. Votre joujou, celui que vous aimiez. Marie-belle m'a violé ou peut-être bien que j'ai violé Marie-belle. Je ne savais pas ce qui venait de se passer exactement ni ce que l'on dit quand ça arrive à un garçon.

J'ai vomi tandis que mes yeux étaient toujours bandés. Mon corps ne s'est pas plié, il s'est lâché et Marie belle en a joui.
Je tremblais et j'avais peur. Je suis enveloppé dans les paumes de l'insécurité. Cette sorcière s'est incrusté dans ma conscience. Cette dernière partit de mon être pour s'écrouler sur mes joues comme des larmes. Je suis amoureux de Laura. Je ne trouve Justine en aucun recoin de mon cœur. Mon être est incurable, mon corps, mon âme et mon esprit sont empoisonnés, ensevelis des ténèbres de Marie-belle qui ont bu toute lumière en moi, tout Justine ou tout Laura.

                                    ***

Des pas à l'extérieur me rappelaient que j'étais en vie. Le cliquetis des serrures et les voix de l'autre côté dessinaient un espoir aussi mensonger qu'un ciel nocturne sans étoile. Il fallait espérer pour vivre et se mentir pour espérer.
                             
                                     ***

Je me souviens de ces soirs où nous dormions à la belle étoile. Toi et moi Laura. Nous étions couchés contre le béton embrasé par le soleil qui s'évanouissait entre les nuages. Tes mains dessinaient sur mon torse des motifs invisibles. Tu disais que nous serions toujours ensemble. Mais où es-tu aujourd'hui ? Je ne sais plus comment tu vas, si tu m'aimes ou même si tu penses à moi. Je t'aime mais j'aime aussi Justine. Nous ne nous sommes rien promis pour ne pas nous mentir. Elle sait que je t'appartiens, elle sait aussi que je t'aime. Que je t'aime vraiment et que j'en meurs. Et quand j'y pense, je pleure.

-Tu ne seras pas tout seul ! clama une voix masculine.

Je cherchai sa direction et crut comprendre qu’elle provenait de devant la porte. Mais elle se mit à fuir et me laissa pour des pleurs qui semblaient être ceux d’une femme. J'étais soudainement revigoré, j'eus même la force de lui demander :

-Qui es-tu ? Tu t'appelles comment ?

Elle ne répondit pas où ne m'entendit pas. Elle était en train de mouiller le silence, tout en désarmant le vide. En revêtant nos angoisses communes d'une force invraisemblable.

-Tu ne veux pas parler ?

-Laissez-moi ! me rejeta-t-elle.

-Je suis Sandro !

-Sandro ? C'est vraiment toi ?

-Dis-moi ton prénom.

- C'est Justine ! Dis-moi que c'est le Sandro que je connais. Dis-le-moi, je t'en prie. Mais fais-moi pleurer en l’avouant. Brise-moi le cœur en concrétisant mes pensées.

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