Chapitre 3

164 12 7
                                    

Il fait tellement noir en ce moment dans ma chambre. J'ai laissé ma fenêtre ouverte pour que la brise puisse m'embrasser le visage. Ou peut-être, pour qu'elle puisse combler ce manque de toi en pénétrant mes poumons et mon cœur.

Mon corps est inerte, j'ai l'impression que même mon cœur a arrêté de battre. Les murs sont toujours gris sauf que ce soir, le ciel est brumeux. Je suis sûr qu'il pourrait pleuvoir vers minuit.

Ça me manque beaucoup d'entendre tes ronflements. Tu n'admettais jamais que tu ronflais. Et ça me faisait rire. Une fois, je t'ai même filmé.

Tu étais couchée contre moi. Tu as ri et m'as soufflé :

-Connard ! Toi, tu baves en dormant !

Je fus piqué au vif. Et je ne savais pas pourquoi. Mais tu savais très bien que je faisais semblant. J'ai même dormi sur le canapé ce soir-là. Et puis tu es venue vers moi. Tu as mis ton visage dans ma paume et tu m'a fait toucher ton cœur. Je comprenais très bien le message. Je t'ai attirée contre mon torse, nous sommes restés pendant des heures, collés l'un à l'autre. Les palpitations de nos cœurs se confondaient. Et se mélangeaient comme deux mélodies.

Je t'ai embrassé sur la bouche pour faire évanouir ton âme sous mon étreinte. Tes lèvres avaient le goût d'un ciel d'été et une légère saveur de fraîche matinée. Tes lèvres étaient envoûtantes, émouvantes. Elles étaient mes lèvres à moi. Cette nuit-là, nous aurions pu faire l'amour. Mais nous avions préféré demeurer  dans le noir. L'un blotti contre l'autre. Nos mains glissaient sur nos corps. Les tiennes étaient chaudes, elles étaient comme un rêve. Surtout quand tu dessinais des motifs invisibles sur mon torse. J'avais l'impression de n’exister que pour toi, que pour tes mains.

De ma fenêtre j'entends quelques aboiements. Ils sont lointains, très lointains. J'ai l'impression que chaque détail de mon présent me propulse en fond et en long dans mes souvenirs.

Je me rappelle que nous avions acheté un chiot. Il était joli. Tu voulais absolument dire joli à la place de mignon. Pour qu'il ne soit pas comme tous les autres chiots.

Il dormait souvent près de notre lit. Tu avais même failli l'appeler par mon prénom. Mais finalement, nous l'avions appelé Chance.

Nous étions dans la chambre. Chance était dans tes bras et tu le caressais. Je t'avais demandé pourquoi nous avions appelé ce chiot Chance. Tu avais ri et répondu :

-C'est simple, ça m'était passé à l'esprit lorsque je le regardais.

Et puis nous l'avions appelé Chance. Ça ne voulait rien dire. Mais j'avais l'impression que tu insinuais que mon prénom te passait par l'esprit, avant. Lorsque tu le regardais. Et pourtant, je m'en fichais, tu l'aimais, alors moi aussi.
Environ deux ans que Chance était chez nous. Un de nos voisins l'a empoisonné. Nous avons pleuré. Ensuite, nous l'avons enterré chez tes parents. Je n'arrive pas à croire que nous ayons fait ça !

Je suis sûr qu'il y a des chiens là où tu es. Mais il n’y en aura jamais d'autre, là où était Chance. C'est fou que je sois dans le même endroit que Chance. C'est aussi frustrant.

Une nuit tu m'as dit :

-Chance est dans mon cœur comme toi tu es dans mon cœur.

Quand tu avais remarqué que je n'avais pas apprécié cette phrase et que j'étais énervé, tu avais soufflé :

-Il y a un compartiment pour les chiens morts, pour deux ou trois trucs, et, surtout, un compartiment pour toi et toi seul.

J'étais encore plus énervé, je ne savais pas comment l'exprimer mais je l'étais. Alors j'ai manifesté ma colère par de l'indifférence. Ensuite, nous n'avons plus parlé de Chance. Nous l’avons très vite oublié, il avait déjà assez encombré la maison et nos vies. C'est méchant de penser ça. Mais rappelle-toi que tu avais failli appelé ce chien par mon prénom

                           ***

Il est maintenant vingt-trois heures chez moi. J'entends des coqs chanter dans les entrailles du soir. C'est bizarre, mais c'est ce que j'entends. Je me suis levé du lit, à la recherche de mon portable. Je l'ai retrouvé dans la salle de bain, plus précisément dans le lavabo. Je l'ai laissé là, pendant que je me brossais les dents. J’aurais pu le retrouver dans le frigo, ou pire, sur lit.

Je l'ai attrapé et ai fait défiler tes messages. Tu m'as laissé quelques photos. Mais je ne ressens rien. Tes yeux ne sont plus aussi profonds, ton visage est fatigué. Il se languissait de moi, j’en suis sûr. Je t'ai laissé un message puis suis retourné me coucher tout en surfant sur Facebook.

Mon cœur se meurt à l'idée que tu sois loin de moi. Il ne fonctionne plus comme avant. J'ai tant besoin d'une amie, d'une cuisinière, de ton corps. De toi. Je me demande si je pourrai continuer à vivre. Si je pourrai continuer de dormir sans ta chaleur, sans tes baisers et sans la douceur de tes yeux.

NostalgieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant