Chapitre 12

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Justine m'a embrassé sur la bouche. Ses lèvres étaient douces et tendres. Un peu comme les tiennes, elles avaient un goût de ciel et une légère saveur de miel. Mais aussi, elles avaient un goût de solitude, de peur et de méfiance. Ne voulaient-elles pas de moi ? Avaient-elles peur de toi ?

Je l'ai invitée. Pas dans mon antre miteux mais quelque part dans la rue, sur une place publique. C'est déconseillé en ces temps de pandémie, mais, heureusement, j'étais seul. Et mon âme avait besoin de lumière pour s'échapper des ténèbres de Marie-belle.

Justine et moi sommes restés dans le silence. Un silence qui finit par se rompre grâce à ses mots, sa voix. Sa tendre voix. Elle m'a demandé :

-Comment vas-tu ?

On ne me pose pas souvent cette question. La dernière fois, c'était un matin, tu étais dans mes bras. Le soleil brillait dans tes prunelles et le contact de ta peau contre mon cœur me faisait pousser des ailes. J'aurais pu répondre à Justine comme je t'ai répondu ce matin-là. En l'embrassant sur la bouche à en faire trembler son cœur et à en raviver le mien fissuré.

Je ne l'ai pas fait. Selon les normes, cela serait considéré comme déplacé. Alors j'ai souris et lui ai répondu.

-Je vais bien ! Et toi, ça va ?

Elle ne m'a pas répondu comme tout le monde. Elle ne m'avait pas menti comme je venais de le faire pour éviter son pourquoi. Elle m'a tout déballé, elle m'a dit ce qu'elle ressentait avec toute la force et la banalité de ses paroles. Avec sa voix qui me donnait des papillons dans le ventre et des étoiles dans les yeux.

-Non, ça ne va pas.

Elle ne m'a pas laissé le temps de lui demander pourquoi. Je lui ai souri. Je sais qu'elle aime bien quand je souris. Surtout, quand je la fais vibrer. Quand je prends sa main ou quand je la prends dans mes bras. C'était tout aussi simple et pourtant si fort.

Elle a poursuivi :

-J'ai peur. Le soir, je vois ma mère dans mes rêves. Tu crois qu'elle viendra me chercher et que je vais mourir ?

Je ne savais quoi lui répondre, ni comment sourire pour la faire briller. Alors, j'ai articulé :

-Les morts n'ont pas de pouvoir Justine.

-Bien sûr que si ! Qu'est-ce que tu racontes ? Ils peuvent tuer et emmener des gens.

-Je suis là, tu me vois !

J’ai pris sa main et me suis rapproché d'elle pour lui  susurrer :

-Je serai partout où tu seras.

Elle m’a dévisagé et a rétorqué :

-C'est à Laura que tu devrais dire cette phrase.

-Serais-tu jalouse de Laura ?

-Et toi, insinues-tu que je suis amoureuse de toi ?

J’ai plongé mon regard dans ses yeux. Son âme est profonde. Ses sentiments étaient nus, tous livrés à mon charme. Je lisais dans ses yeux ma propre beauté masculine. Je me suis rapproché de son visage. De plus en plus près. Son souffle m'effleurait et ses paupières se fermaient. Cependant, elle me repoussa, si fort qu'une honte s’empara de mon cœur.

-Pourquoi tu ne veux pas de moi ?

-Bien sûr que je veux… Tu aimes Laura. Et, de fait, je me dois de ne pas t'aimer.

-Mais Laura n'en saura rien.

-Comment peux-tu dire une chose pareille ?

-Laura m'a oublié, je suis maintenant l’ombre de son absence. Je suis la victime de son souvenir. Car, vois-tu, ses sourires ne me contiennent plus.

-Tu es incrédule et fou ! Ne sais-tu pas ce que l'on ressent quand un amour n'est pas réciproque ? Ne sais-tu pas que je te vois dans mes rêves ? Que je veux de toi. Mais j'ai si peur de moi. J'ai si peur de devenir prostituée pour la société.

-Fichons-nous de la société ! Viens et crions à l’Univers que nous sommes faits l'un pour l'autre.

-Tu es ingrat, Sandro !

-Donne-moi la main ! Je vais te montrer quelque chose…

Je pris sa main. Nous nous mîmes à courir sur les trottoirs comme je le faisais avec toi Laura. Nous étions comme les oiseaux ivres du paradis. Nous étions aussi libres que le vent, aussi "nous" que l'on s'aime. Nous étions deux étoiles d'une même constellation. C'était cela l'âme sœur. J'ai ressenti la même chose qu’avec toi. Mon cœur était si léger bien que bourré de sentiments à en craquer. D'ailleurs, j'étais incapable de dire que je ne t'aimais plus. Je t'aimais plus que tout ! Mais j'aimais aussi Justine. Elle soignait mon cœur et buvait mes ténèbres. Elle a été ma rédemption durant toute ton absence, mon anti Marie-belle pendant mes déboires. Je ne pensais plus à rien quand elle touchait ma main. Je n'entendais que son cœur quand elle était dans mes bras.

Nous avons atterri dans mon antre. Sur les ports de l'ombre où accoste Marie-belle et ses démons. Nos lèvres se sont cherchées, nos corps se sont scellés. Et nos doigts s'entremêlaient. Ces doigts que je glissais dans ses cheveux.

La nuit était jalouse de la couleur de sa peau ; dans le scintillement de ses yeux, la lune est démunie de ses vertus. Le soir, lui, rougissait de sa beauté, le noir blanchissant par ses gémissements. Nous fîmes un, dans les bras de la nuit. Un seul et unique cœur sous les feux de l'amour.

Dans un déclic, tout s'est arrêté. Son corps s'est effondré près de moi. Nos souffles ont fait trembler la pièce. Mes démons étaient revenus. Toujours plus forts et toujours plus effrayants.

Je te vois, Laura, dans les bras d'un autre. Tu l'embrasses langoureusement. Amoureusement. Je venais de faire la même chose. Mais toi ?

Je sais que je ne réponds plus à tes messages. En effet, tu ne veux plus de moi. Je suis jaloux, orgueilleux, mais je t'aime. Vraiment. Je ne voudrais pas briser le cœur de Justine. Elle est si tendre, si douce.

La main de Justine glissait sur mon corps. Elle articula, confuse :

-Je dois oublier ce qu’il vient de se passer.

Soudain, elle plongea son visage dans ses paumes. Elle pleurait. Je l'ai approchée tout contre mon corps. Et je lui ai dit :

-Je t'aime, je t'aime !

C'était à la fois une vérité et un mensonge. Une déclaration d'amour et une connerie. Mais c'était surtout le sentiment de l'instant présent, surtout des mots, des mots de tous les jours. Des mots qui ne garantissaient rien quant à l’avenir. Des mots qui disaient tout ce qu'on ne voulait pas dire.

-Sandro, mon amour ! Ouvre-moi, c'est Marie-belle !

Cette voix venait de me planter un poignard dans le dos.

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