Le crépuscule montrait petit à petit son visage. Le soleil s'écroulait dans les entrailles de la Terre. Tout le paysage semblait se colorer d'une lueur ardente et j'avais l'impression que les vitres de la voiture s'enflammaient.
J'étais sur le siège arrière, ton père conduisait et tu étais à sa droite. Nous étions assourdis par la résonance des roues sur la chaussée. Les yeux perdus dans les arbres qui profilaient, j'essayais d'alléger le poids du silence, j'essayais d'ignorer que nous étions en train de nous quitter.
J'ai regardé dans le rétroviseur et j'ai vu tes yeux baignant dans une marre de larmes. J'arrivais à lire notre histoire sur ton visage, j'arrivais à sonder ton obligation de partir et ton désir de rester.
La voiture s'est arrêtée dans le parking de l'aéroport Toussaint Louverture. Tu es descendue avec ton père, le chahut des portières m'expulsant de mon sommeil. J'ai levé les yeux et j'ai senti l'épaisseur de ton regard sur mon corps. Je me suis redressé pour prendre ta valise dans le coffre avant de la confier à ton père.Tu me fis ce regard d'ange en me marmonnant d'une voix calme et douce une simple phrase assortie d'un soupir :
-Eh bien, aurevoir !
Je n'ai pas répondu. Tu m'as simplement encerclé de tes bras. Je me suis laissé aller et j'ai laissé mes narines respirer ton parfum. Je t'ai serrée de toutes mes forces et je t'ai mouillée de mes larmes. Et puis tu m'a donné ce dernier regard. Ce regard comme dans un film qui se termine. Je t'ai enfin regardée disparaître dans un nuage de gens. J'ai rejoint la voiture qui semblait dormir après avoir été bercée par un morceau de Tropicana. C'est exactement à ce moment que la nostalgie a pris naissance. Je me suis senti seul et je n'ai pas attendu ton père. J'ai pris un bus pour m'emmener au plus vite à Pétion Ville. Je suis descendu au premier night-club sur ma route.
Il était déjà vingt heures mais bien trop tôt pour s'alcooliser.
***
J'entendis des coups à la porte. À cet instant, j'avais trébuché de mes souvenirs. J'attrapai mon téléphone sur la table de chevet, tapotai l'écran et vit qu'il était deux heures du matin. Je le fis défiler et constatai tes seize appels manqués. Je me vêtis d'un tee-shirt et dévalai les escaliers pour ouvrir la porte. J'aperçus Justine sur le seuil, toute trempée à cause de la pluie. Elle portait un masque, un jean délabré et un corsage rose. Je lui ai demandé d'entrer, elle m'a suivi et s'est engouffrée dans le canapé avant de se remettre debout et de s'approcher de moi.
-Désolée d'entrer comme ça, là, maintenant. Il se fait tard et à cause de la pluie, il est impossible de rentrer chez moi, car, vois-tu, c'est le couvre-feu. Et puis il n'y a que toi que je connais dans ce quartier.
(Comment avait-elle fait pour connaître mon adresse ? Je ne lui posai pas la question.)
C'est le couvre-feu, elle ne peut pas entrer chez elle. Laura, qu'est-ce que tu dirais si tu étais là ? J'ai réfléchi. Enfin... j'ai essayé. D'ailleurs, je suis sûr que tu ne serais pas d'accord. Mais je sais aussi que tu n'es pas méchante. Je me suis un peu mis à marcher dans la pièce et ai lancé :
-Tu peux faire comme chez toi Justine. Les amis ça sert à ça, non ?
Elle a rétorqué :
-Je me sens mal à l'aise, je n'aurais pas dû te déranger. Je suis désolée.
-Ne le sois pas ! Bon... je suppose que tu peux dormir dans ma chambre. Moi, je dormirai sur le canapé.
Quand j'ai prononcé cette phrase, je t'imaginais l'entendre. Notre lit, ce lit dans lequel j'ai fait pipi un jour. Celui dans lequel nous avions fait l'amour, parlé, souri et pleuré. Justine allait dormir dedans.
Je lui ai donné des couvertures, elle s'est séchée puis est entrée dans notre chambre. Quant à moi, je me suis jeté sur le canapé, comme lorsque nous nous disputions ou que nous passions la nuit à regarder la télé. Je n'ai pas enlevé mon tee-shirt, je suis resté dans le noir, observant le plafond, m'inventant des scénarios de toi qui apprenais que Justine a dormi dans notre lit. Si ta mère débarquait, là, je serais vraiment dans la merde. Je suis sûr qu'elle ne risque pas de débarquer, et, dans un tel cas, Justine demeurerait dans sa chambre. Pardonne-moi pour ce que je viens de faire. Je sais que ce n'est pas une bonne idée. Mais je n'avais pas le choix. (Disons, je l'avais. Mais je ne pouvais pas dire non).
J'entendis les pas de Justine dans le noir. Elle a allumé l'ampoule du salon. J'ai plissé les yeux au contact de la lumière et j'ai aperçu sa silhouette qui marchait vers moi. J'étais maintenant assis sur le canapé. Justine est venue et s'est assise à côté de moi. Elle a plongé son visage dans sa paume puis a levé son regard vers la télé que je n'avais pas allumée. Après un soupir, elle a promené ses doigts dans ses cheveux. Elle a fini par articuler :- Ça m'arrive souvent depuis que ma mère est morte. Je me réveille en pleine nuit.
Elle ne m'a pas laissé le temps de répondre et a enchaîné :
-C'est ta femme sur les photos dans la chambre ?
-C'est ma copine, elle vit à l'étranger.
-Elle est jolie !
-Je sais. Donc tu n'arrives pas à dormir, c'est ça ?
Après un long silence, elle a lâché :
-Oui c'est ça, je suis comme ça depuis la mort de ma mère. J'ai l'impression qu'elle me hante. Je fais des cauchemars et je ne dors plus la nuit.
-Depuis que Laura est partie, pour moi, c'est presque pareil. La seule différence c'est que je sais qu'elle vit quelque part.
-Ouais ! Comment as-tu rencontré Laura ? Désolée de te demander ça, j'ai vraiment besoin de parler. Je me sens toujours seule. Je suis comme une morte.
J'ai respiré une grande bouffée d'air pendant laquelle je parvins à voir ton visage, Laura. Je te vis qui me souriait. Tu es jeune, très jeune, et je le suis également. J'avais oublié ce que ça faisait d'être près de toi, seuls, tous les deux dans notre univers à nous, d'être ensemble pour parler de la vie et des drames. Sauf que là, maintenant, j'étais avec Justine. J'ai puisé toutes les forces qu'il me restait et ai ahané :
-Je me souviens que je l'ai toujours connue. Nous avons grandi ensemble, marcher ensemble et ri ensemble. Nous avons aimé ensemble. Tu as déjà aimé quelqu'un toi ? T'a-t-on déjà brisé le cœur en te laissant dans la nostalgie et la mélancolie ?
Elle a croisé les pieds comme tu le ferais. Elle m'a regardé dans les yeux (ses yeux sont profonds, très profonds). Elle a commencé par dire :
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Nostalgie
RomansaNos silences ressemblaient à des éternités. Surtout lorsqu'on cherchait les mots idéals pour les propulser dans le vide. Et pour se dire, tout ce que les mots ne pouvaient plus dire. Il y avait quelque chose de profond entre les lignes de ses séca...