Chapitre 11

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Nous mourrons tous.

J'ai lu cette phrase dans le livre, ton cadeau. Je l'ai aimée car elle dit tellement tout et rien à la fois. Alors, je l'ai écrite pour la rendre éternelle. Même si elle l'est déjà. Mais ce que je voulais, c’est la rendre éternelle par mon pouvoir. C’est pourquoi, je l'ai dessinée sur un mur défiguré comme un rêve décoloré. Je suis resté contre ce mur, en repassant dans mon esprit les séquences les plus chiantes de ma vie.

Un soir, j'avais cinq ans et maman était là. Je ne la détestais pas encore ; elle me prenait dans ses bras, elle m'aimait et je l'aimais en retour. J'avais l'impression d'être vivant, comme si son affection me faisait respirer. Mais en réalité, elle me tuait car, plus l’on s'attache, et plus l'on risque. Plus l'on aime, et plus l’on est faible. Plus les profondeurs d'un amour sont grandes, et plus les blessures causées par elles sont écœurantes, profondes et, surtout, atroces. Je crois que je suis trop attaché à toi. Mais il faut s'attacher pour aimer, la vie étant un risque continu et irréfléchi.

Ma mère avait décidé de devenir prostituée car elle avait perdu son emploi. C’est ainsi qu’elle devint dépressive ; elle fumait et voulait se suicider. Et moi, je l'en empêchais à chaque fois. Elle a par exemple grimpé le toit pour s'y jeter à plusieurs reprises. Elle disait vouloir retrouver sa vie d’avant. Sa vie sans moi, lorsqu’elle était adolescente. Une de ces fois-là, elle a grimpé. Je me suis approché d'elle et elle m'a regardé avec un visage abattu avant de me murmurer :


-Tu sais très bien que je n'ai jamais voulu t'avoir.

Je ne lui ai pas répondu. J'ai simplement regardé le ciel tout en mangeant du silence. Elle a cependant poursuivi :

-Je me sens seule, je me sens morte. J'ai besoin de partir, tu comprends...

Ce n'était pas une question, mais ça en avait l'air. Et je m'en fichais de toute façon, je n'étais pas là pour ça. Elle m'a demandé, d'une voix triste et les yeux vide :

-Est-ce que tu m'aimes Sandro, est-ce que tu aimes ta mère ?

Je ne savais pas comment répondre à cette question sans mentir. Alors, je me suis approché d'elle et j'ai chuchoté tout bas :

-Je ne sais pas.

Je ne savais vraiment pas, mais aujourd'hui je sais. Je la détestais ou, plutôt, je détestais ce qu'elle faisait. J'avais cette haine quelque part en moi qui m'empêchait de dormir le soir lorsque ma mère ne rentrait pas ou lorsque j'avais un nouveau père. Alors, je dormais dans le noir avec mon désespoir. Accroché à mon oreiller, je voulais me sauver des monstres de ma chambre. Ils sont encore là, maintenant je n'ai plus peur d'eux. Le monstre en moi est abondamment plus effrayant. Ce monstre qui s'appelle l'Insouciance. Je ressens son existence après chaque bouffée de cigarette expulsée dans le vide. Chaque seconde passée dans la solitude. Chaque nuit à repenser à tout. À tout ce qu’il s'est passé, à ma vie qui a basculée. Sans toi. Allongée sur le sol.

«Qu'il est beau le plafond quand on fume. Et quand on a des étoiles dans les yeux»

murmurais-je en mon cœur. J'avais l'impression que la chambre tournait et que les murs tremblaient.

«Je ne vais pas mourir avant de te revoir ».

répétais-je en boucle dans ma tête. Je n'arrive plus à respirer, j'ai comme un truc invisible bloqué dans ma gorge. C'est comme une boule qui n'existe pas vraiment mais qui demeure palpable. Très palpable...

Les étoiles, je les aperçois :

«Qu'elles sont jolies. Elles ressemblent à tes yeux»

Secousses...

Je ne sais plus où je suis, mon cerveau ne fonctionne pas correctement. Il me donne des hallucinations. Je me demande ce que j'ai fumé pour ressentir ça. Je veux disparaître. Il y a Marie-Belle qui est en train de courir partout dans ma tête. Elle veut faire l'amour et moi je veux la...

Merde !

Il y a toi maintenant, nous avons quinze ans. Nous sommes à Martissant chez ta tante. Tu me tiens la main, je t'embrasse. Nous nous enflammons pour brûler le silence de nos désirs. Et puis nous sommes sortis sous le ciel, là où les étoiles ne brillent que dans tes yeux... que pour nous deux. Nous sommes restés dans le vide en respirant la brume du soir. Les mots que nous voulions nous dire mais que nous ne nous disions pas étaient autour de nous, partout et nulle part. Tu t'es approchée, tu t'es appuyée contre moi. J'ai respiré tes cheveux comme je respire la nuit en ce moment.

Coupure... Tremblement…

Et ce fut une déchirure !

Mon cœur s'est ouvert en grand, comme si le soir pouvait le pénétrer pour me sortir par les narines. Or, le sang coulait entre mes organes, mes veines ayant été percées. Je ne suis pas docteur. Mais c'est exactement ce que je ressentais, j'avais un picotement étrange dans cet endroit de mon corps. Cet espace que l'on appelle cœur.

Je dépose la cigarette entre mes lèvres et le délire recommence… Je suis en train de courir sous la pluie. Je suis libre comme le vent, il n'y a personne pour m'arrêter. J'entends des voix qui se mélangent à l'air, je vois des images pourtant si troubles. Je coule, je coule vraiment. De la même manière que si la mer et le ciel disparaissaient. Je marche sur le visage de Marie-belle, je la piétine de toutes mes forces, avec toute l'intensité de mon dégoût à son égard. Et je vole comme la fumée, je passe entre des feuilles sur lesquelles se dessinent des visages de ta mère. Et je tombe, je tombe, je tombe encore... Dans un gouffre tout aussi profond que mon cœur. Il n’y a apparemment rien pour me ralentir, pas une ficelle à laquelle se rattacher.

Rien...

Mais le néant était sous mes pieds, il a ouvert sa gueule comme la solitude. Comme le vide ou comme l'amour.

"Je veux sortir de ma tête !!!!"

J'ai crié cette phrase si fort que j'arrivais à ressentir une blessure le long de ma trachée. La cigarette est toujours là, je la reprends entre mes doigts pour propulser vers le plafond une fumée qui dégage l’odeur de mes sentiments. Justine et toi me tenez la main.
Elle est douce, frêle et froide ta main. Elle faisait des merveilles ta main. Comme me dire ce que tu ressentais. Comme partager mon âme et ce que tu entendais le soir quand je dormais loin de toi.

Mon souffle devient saccadé un moment. Les murs s'évaporent, ils coulent comme mes larmes. Et je vois la mer, elle n'est pas bleue sinon noire, telle un ciel sans lune et sans étoiles. J'y plonge et y vois Justine. Elle est en train de m'embrasser sur la bouche. Ses lèvres sont comme les tiennes. Elles me font penser.

À la pluie,
À la nuit,
À demain,
Au matin.

Je me réveillerai dans tes yeux, mais ce sera dans les yeux de Justine. La chambre tourne, ma tête est encombrée. Il y a trop de souvenirs, trop de rires et trop de larmes. Trop de toi et trop de Justine. Et aussi de Marie-belle, qui pourrit le tout, le ronge...

J'ai besoin de toi, mais tu es nulle part. Tu m'as oublié, mais pourquoi…

"LAURA BORDEL ! QUI ÉTAIT CE TYPE DANS TON APPARTEMENT ?!"

Quoi qu'il en soit, sache que moi, je suis... je ne sais plus en fait. Parfois, je n'ai pas les mots pour tout te dire. Je sais que je suis un abruti. Mais pardonne-moi si tu me retrouves mort à ton retour. Pardonne mon cœur de t'avoir aimée. Pardonne mon corps de t'avoir gâtée. Pardonne mes lèvres de t'avoir faite rêver. Et pardonne la vie, lorsque tu m'auras perdu.

NostalgieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant