Chapitre 6

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Je ne savais pas ce qu'était un styre mais, en me dirigeant vers l'immense porte coulissante du domaine, j'eus la certitude que lorsque je le verrais je le reconnaitrais. Dans mon dos, le démon qui nous avait accueilli pris la parole.

-Je m'appelle Nael. Je suis un ami de Léandre et vous pourrez compter sur moi en toutes circonstances. Je suis content de votre venue, cela fait des semaines qu'il ne parle que de vous.

-Il nous attend depuis des semaines ? m'exclamais-je estomaqué.

-Oh, il vous attend depuis des décennies ! s'esclaffa Nael en nous ouvrant la porte. Mais il vous a rencontré il y a quelques semaines seulement.

J'allais le questionner lorsqu'il reprit :

-Tu lui poseras toutes les questions nécessaires lorsque vous serez chez lui. Il vous rejoindra vite, ne vous en faites pas.

Puis, il interpella un ombre qui se fondait dans la noirceur de la pièce.

-Styre, emmène ces deux jeunes hommes dans la résidence de Léandre.

-Vous allez nous laissez ?

Egio se faisait si silencieux que je l'avais presque oublié, et je m'en voulut aussitôt d'avoir fait si peu attention à lui. Il devait se sentir complètement perdu.

-Oui, aucun démon n'aime savoir ses saikens avec un autre, aussi amis soient-ils.

Je vis de l'incompréhension dans les yeux du brun et lui fit signe que je répondrais à toutes ses interrogations plus tard.

Le styre alluma une torche et nous devança, sous entendant que nous devions le suivre. La lueur du feu me permit de l'observer davantage, et je me rendis compte qu'il n'avait aucun visage. Il ressemblait à une ombre mouvante à laquelle on aurait insufflé un souffle de vie. Cette constatation m'effraya un peu et je priais pour que l'on arrive vite à ces appartements, que je puisse souffler un peu. Ce trop plein de nouveautés commençait à me faire tourner la tête et je ne désirais rien de plus qu'un lit douillet.

Nous montâmes un nombre effarant d'escaliers, tous plus étroits les uns que les autres, et je ne comptai plus le nombre de fois où mon équilibre fut mis à mal. La pierre qui constituait les marches avait l'air d'avoir été tellement foulées qu'elle s'était polie et mes sandales en lanières eurent beaucoup de mal à adhérer au sol.

Heureusement, je tenais la main d'Egio qui me retenait à chaque fois. Il avait toujours été le plus agile de nous deux.

Le styre n'arrêta pas son chemin et ne se retourna jamais pour vérifier que nous le suivions. J'aurais pu soudainement décider de sauter par une des meurtrières que cela lui aurait été égale. Encore aurait-il fallu que je puisse me glisser à travers le mince interstice, mais ce n'était qu'un détail.

Lorsque l'ombre ralenti devant une lourde porte en bois, je poussai un profond soupire de soulagement. La matinée n'était même pas achevée que je tombais de fatigue.

Elle sortit une clef ancienne et déverrouilla avant de disparaitre sans plus de cérémonies.

L'intérieur était spacieux. Le plus grand lit qu'il m'ait été donné de voir se tenait face à nous, légèrement enfoncés dans une alcôve et était recouvert de draps de couleurs chaudes.

Je compris rapidement que notre démon était un adepte de la simplicité car mis à part l'immense bureau en bois recouvert d'un tas de papiers jaunis et l'armoire richement décorée, rien ne venait compléter l'espace.

-Qui est Léandre ?

La petite voix d'Egio interrompit mes pensées et je me tournai vers lui, observant son visage creusé par la faim et la fatigue.

-J'imagine que c'est notre démon.

-Pourquoi est-il parti ? continua-t-il en se dirigeant vers la pièce adjacente qui semblait être une salle d'eau.

-Je ne sais pas, murmurais-je en réfléchissant. Je crois qu'il est fâché contre moi.

Des pas se firent entendre dans ma direction et les mains d'Egio entourèrent mon visage.

-Je suis sûr que tu te trompes. Personne ne peut se fâcher contre toi, souviens-toi, j'ai déjà essayé et toutes mes tentatives se sont soldées par des échecs.

-Peut-être mais là il est loin...il me manque, compris-je, moi-même surpris de mes sentiments. Et j'ai mal.

La sensation glaciale laissée par son attitude précédente s'intensifia et j'eus l'impression de brûler de l'intérieur. La morsure du froid me paralysa et je me mis à sangloter en me laissant tomber dans les bras d'Egio.

Ayant une carrure moins imposante que la mienne, il eut beaucoup de difficultés à me hisser sur le lit majestueux et quand ce fut fait, il attrapa ma main, serrant mes doigts.

-Adriel ?

Sa voix paniquée me parvint étouffée par mes pleurs et je le sentis m'enlacer, se blottissant contre moi. 

-Pourquoi est-ce que tu pleurs ? C'est le lien avec le démon qui te provoque toutes ces larmes ? Pourquoi je ne souffre pas de son absence ?

En définitive, je ne sus pas si c'était l'idée de ma souffrance ou l'absence de la sienne qui l'affola le plus. Il n'attendit pas de réponses de ma part et me caressa simplement les cheveux, enroulant mes mèches claires autour de ses doigts.

L'ouverture brutale de la porte nous surprit tous les deux si bien qu'on se redressa d'un bond, tombant face à notre démon complètement paniqué.

-On vous a fait du mal ? J'ai senti la détresse d'Adriel à l'autre bout du domaine.

En deux enjambées, il se retrouva devant moi et me scruta sous toutes les coutures.

-Il dit qu'il a froid, l'informa mon semblable d'une voix hésitante.

-Froid ? Je ne comprends pas, parle. Que se passe-t-il Adriel ?

Tout en réclamant des explications, le démon m'attira contre lui et me frictionna le dos.

Respirer son odeur musquée me fit me sentir mieux et je m'enfonçai un peu plus dans cette étreinte.

-Vous êtes faché, encore. Vous ne devriez garder qu'Egio, vous vous énervez sans cesse par ma faute. 

Le démon poussa un soupir de soulagement et attira mon camarade contre lui, le laissant me rassurer aussi.

-Je ne suis pas en colère, petit humain sensible, j'étais pensant. Et un peu agacé, il est vrai. Mais rien de tout ça n'était de ta faute. Je n'avais pas envie de vous laisser à un autre démon après vous avoir à peine imprégné de moi, et je me sentais furieux de ne pas vous avoir expliqués plus en détail en quoi consistait votre rôle à mes côtés. Si je l'avais fait, aucune incertitude n'aurait jamais pu planer dans ton esprit face à l'identité de mes compagnons.

En quelques mots, il calma le brasier et apaisa ma douleur. Je soupirais de béatitude en me laissant glisser contre lui, me rapprochant plus encore d'Egio. Je me laissai aller tout contre celui qui comptait le plus à mes yeux et celui qui commençait à prendre une place toute particulière dans nos vies, et je me sentis enfin serein.

-Je vous chérirais pour l'éternité, tous les deux. Je ne veux plus te voir douter de ça.

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