Chapitre 1

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J'ignorais depuis combien de temps j'étais éveillé, mais le son des gouttes de pluie qui tombaient du toit et martelaient la pierre commençait à me taper sur les nerfs. J'aurais dû mieux choisir notre abri mais pour ma défense, il n'y avait pas grand chose qui puisse accueillir deux garçons fuyant les torrents d'eau. La pluie nous était tombée dessus sans crier gare alors qu'Egio et moi chassions.

J'avais repéré les traces d'un jeune cerf qui se dirigeait au pas de course vers le nord. Je n'aimais jamais trop m'approcher du Domaine mais nos provisions étaient bientôt à secs et nous ne pourrions pas ressortir de la maison avant des semaines.
Madame Theresa ne baissait que rarement sa vigilance et nous sautions sur chaque opportunité pour sortir en douce.
En effet, les enfants de son institution  n'avaient droit qu'aux restes de récoltes et il n'était pas rare que nous n'ayons rien à nous mettre sous la dent plusieurs jours durant.
Ainsi, il était dans nos habitudes de partir à la recherche de vivres et de provisions pour les jours où le monde nous laissait de côté.

Je caressai distraitement les cheveux de celui que je considérais comme mon frère, blotti contre moi. Il exécrait le tonnerre et je devais bien avouer que  je n'appréciais que très peu ce son assourdissant, prémice d'un éclair dangereux et meurtrier.

Une vague de culpabilité étreignit ma poitrine. C'était de ma faute s'il devait affronter tout cela loin de chez nous et d'une couverture dans laquelle il aurait pu se blottir. Je me serais sans doute rapproché afin de le rassurer et d'endiguer son sentiment d'inconfort, puis officieusement pour calmer ma panique à moi aussi.

C'était durant une nuit comme celle-ci qu'Ils étaient arrivés.

Au début, personne ne les avait remarqué, nul ne savait d'où ils venaient mais nous nous étions tous immédiatement inclinés. La puissance et la majesté qui se dégageaient d'eux imposaient l'obéissance et la docilité et c'est ce que nous avons été : dociles. Notre souverain n'avait pas fait long feu face à la force de ces étrangers, Ils n'avaient même pas eu à combattre pour gouverner.

Mon frère poussa un glapissement, me tirant de ma rêverie.

-Le ciel ne se calme pas.

-Non. Je pense que nous en avons pour quelques jours de confinement, nous ne pourrons pas rentrer à la maison tout de suite.

-Si dame Theresa apprend notre départ...

-Je lui dirais que c'est de ma faute, affirmai-je rapidement.

Les punitions de celles qui veillaient sur nous étaient très sévères, mon frère les évitait comme la peste depuis toujours.
Raison pour laquelle j'assumais chacune de nos bêtises et aventures, laissant le plus jeune en dehors de ça. Il savait que j'affronterais tout pour garantir sa sécurité et son confort.

Je poussai un soupir et me calai contre le mur, serrant un peu plus Egio contre moi. Son corps dégageait de tout temps une chaleur intense et je prenais beaucoup de plaisir à me blottir contre lui en hiver.

Ma main repoussa sa chemise et se posa sur son ventre nu. Ici, le fin duvet se transformait peu à peu en toison de poils sombres. Egio devenait un homme, c'était certain, et je me surprenais à laisser dériver mes yeux le long de son corps svelte lorsque nous chassions.
La vie que nous menons le rendait finement musclé et j'étais persuadé qu'il serait tout à fait séduisant plus tard.
Comme si tu ne le trouvais pas déjà séduisant, pensai-je avec ironie.

-Continue, souffla-t-il en se tournant vers moi pour me fixer de ses yeux endormis.

-Pardon ?

-Continue tes caresses.

J'eus un sourire tendre, je ne m'étais  pas rendu compte de mon geste. Mon camarade me tourna à nouveau le dos et se laissa un peu plus aller contre moi.

-Tu n'as pas le droit de me caresser comme ça à la maison.

-Non. Madame Theresa n'apprécierait pas, et les autres pourraient s'en prendre à toi s'ils le découvraient.

-Pourquoi ? On fait quelque chose de mal ?

L'inquiétude dans sa voix serra mon cœur dans un étau de culpabilité et je m'empressai de le contredire.

-Non, bien sûr que non ! Les gens peuvent simplement se montrer intolérant. Parce que dans les mœurs les garçons n'ont pas à caresser d'autres garçons.

-Les mœurs ont tort. Moi, j'aime que tu me caresses, je ne vois pas pourquoi cela serait mal.

Ses mots m'arrachèrent un rire. Je déposai un baiser sur le sommet de son crâne, inspirant profondément son odeur au passage. Les boucles brunes qui encadraient son visage étaient douces contre ma peau et je laissai ma main se balader le long de son torse, effleurant ses côtes.

Peu à peu, son souffle se fit profond. Je le laissai s'endormir, préférant monter la garde. Les contrées qui entouraient le village n'étaient  jamais complètement sûres, les brigands empruntaient régulièrement ces chemins pour atteindre l'empire des Démons dans l'espoir de leur vendre leurs trouvailles.

Mais les démons ne voulaient rien. Rien qui ne soit pas un bipède prêt à laisser liberté et dignité pour se transformer en esclave.

Quand j'étais gamin, j'imaginais que le départ d'un humain vers ce domaine se déroulait au milieu de cris et d'effusions de larmes. Ma surprise fut gargantuesque lorsque je compris qu'en vérité, les Hommes se donnaient volontairement.

Dehors, la tempête se calmait peu à peu et le doux tintement de la pluie me fit doucement somnoler. J'eus un regard circulaire et évaluai les risques d'une attaque. Il fallait être bien sot pour s'en prendre à nous. N'importe qui pouvait, en un seul regard, se rendre compte que nous ne possédions rien.

Un dernier coup d'œil à l'extérieur m'indiqua qu'il nous restait de longues heures avant le lever du soleil, de quoi me permettre de récupérer après cette longue journée de marche.

Ainsi, je fermai mes paupières et me laissai glisser dans une torpeur hautement méritée, ignorant que des yeux perçants nous fixaient, tapis dans la noirceur de la nuit.

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