Chapitre XIV: Guerre Civile

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Résumé: Suite à l'assassinat du Chef de la Compagnie de mercenaires, les chefs de clan Sym et son nouveau bras droit, Khroll, s'apprêtent à prendre le pouvoir par la force. La menace des autre chefs de clans éliminée, il ne reste plus qu'à écraser leurs clans qui ne savent encore rien du sort de leurs commandeurs.

Une nuée de torches embrasait les ténèbres de la Cité Céleste. Sym et Khroll venaient de rassembler leurs troupes dans le plus grand secret. Sym désigna un porte étendard qui lui tendit le drapeau de la Compagnie. Avec sa dague, le nouveau chef autoproclamé déchira le tissu, en fit deux bandeaux, l'un qu'il attacha autour de sa tête, et l'autre qu'il donna à son nouveau bras droit.

« Faites de même avec les autres étendards, qu'on vous reconnaisse. Exécutez tous ceux qui n'ont pas ce bandeau. Allez. »

La troupe, bien que nombreuse, fit son chemin en silence dans les sinueuses routes de la ville. La mort envahissait la cité petit à petit, sans le moindre bruit.



Malkis n'arrivait pas à dormir. Les cris d'un champ de bataille le hantaient souvent après une journée comme celle-ci. Il était dans la même chambre à coucher que les autres Conseillers. Fort heureusement, en tant que haut gradés de la Compagnie, ils avaient bénéficié de quartiers dans le château du Seigneur, ce qui impliquait une literie de bonne qualité et une quantité convenable de coussins. Cela aurait sans doute été plus agréable si le statisticien de la Compagnie n'avait eu la fâcheuse tendance de ronfler bruyamment. Pour quelqu'un avec une ouïe aussi développée que Malkis, qui était aveugle depuis bien longtemps déjà, un ronfleur était une véritable plaie.

Mais outre ces obstacles à son sommeil, la pensée du meurtre d'Yvor le taraudait encore davantage que le souvenir des cris de la veille ou même que les ronflements de son congénère. Il ne doutait pas une seule seconde qu'il pût s'agir d'un assassinat, la véritable question était : qui ?

Il craignait le pire pour la Compagnie, mais aussi pour lui-même. Les Conseillers, autrefois utiles de par leur intelligence, étaient respectés dans la Compagnie. Cependant, aucun d'entre eux n'avaient la moindre utilité au combat. La providentielle protection du Chef réduite en poussière, leurs sorts étaient pour le moins incertains. Pour peu que le nouveau chef, à savoir probablement le commanditaire de l'assassinat, se trouve de nouveaux conseillers ; Malkis redeviendrait un malheureux fantassin inutile.

Les ronflements avaient cessé. Malkis fut satisfait un instant de ce changement inattendu. Soudain, il réalisa que quelque chose clochait. Il se concentra sur les bruits l'environnant, comme à chaque fois qu'il devait se mouvoir en évitant de percuter quelque chose. Il y eut un craquement, imperceptible. D'autres suivirent. Un souffle étouffé, puis un son liquide, comme de l'eau qui éclabousse le sol. La panique de Malkis augmenta d'un cran alors qu'il entendait ce qui semblait être une lutte silencieuse, des bras et des jambes qui percutent violemment un matelas. L'image d'un homme qu'on étouffe s'imposa à lui, et il bondit hors de son lit, attrapant par réflexe la dague glissée sous son oreiller. L'assaillant était trop occupé pour le remarquer, et l'aveugle se glissa vers la porte en silence.

Avec cette habileté à esquiver les obstacles invisibles que seuls possèdent les aveugles, Malkis traversait les ténèbres. Il atteignait la porte en quelques enjambées silencieuses, et s'arrêta soudain. Il entendait les râles étouffés du Conseiller. Cela provenait du lit dans le coin gauche. Malkis était maintenant certain que c'était le statisticien qui mourait dans la nuit. L'aveugle serra la dague dans son poing ; devait-il aller à son secours ?

La vague de courage et d'empathie s'en alla aussitôt après s'être manifestée. Il n'était rien qu'un handicapé, il ne sauverait personne en s'interposant, et encore moins lui-même.

« Désolé mon vieux, se dit-il. C'est chacun pour sa pomme dans la Compagnie. Ça l'a toujours été, et ça le sera toujours... »

Malkis marcha à pas de loups jusqu'à la moitié du corridor, puis se mit à courir en percutant les murs. Il lui fallait trouver la salle des gardes, et tout de suite. Se souvenir... Se souvenir...

Droite, gauche, gauche, escaliers... Les sons d'une armure résonnant entre les murs lui parvinrent.

« Garde ! Garde ! »

Il cria sans pour autant s'arrêter, l'autre ne dit pas un mot.

« Un... Un assassin, dans nos quartiers... Dit-il tout essoufflé.

—Un assassin ? Vraiment ?

—Oui, puisque je vous le d... »

Malkis entendit le son imperceptible d'une lame que l'on glisse hors de son fourreau, lentement, comme pour ne pas attirer l'attention. Il réagit au quart de tour, et prit le chemin inverse. Totalement paniqué, il fit irruption dans une salle qui, selon ses souvenirs, se trouvait être un garde-manger. Odeur de saucisson, pas de sensation de chaleur ni de senteur d'huile. Il devait être dans le noir, pas de lampe. C'était parfait.

Malkis eut tout juste le temps de se dissimuler derrière une caisse avant d'entendre les gonds grincer. L'armure tinta longuement, jusqu'à n'être qu'à quelques mètres de lui. Alors, l'aveugle claqua la porte, plongeant l'homme dans le noir. Voilà, il était dans son élément. Ils étaient tous deux aveugles.

Il y eut un silence, puis le sifflement de l'acier dans l'air se fit entendre, suivis des fracas des caisses de bois et des mets qui se déversent. Le mercenaire était manifestement perdu et terrifié, tentant d'atteindre Malkis par des coups hasardeux. Il ne fallut pas longtemps pour ce dernier pour localiser l'assaillant, et de se placer juste derrière lui. Il tint sa dague en pic à glace, puis agrippa la cotte de maille de l'homme par derrière et chercha la gorge avec l'acier. Soudain, il sentit une chaleur liquide envahir ses doigts, et il fut écrasé par le corps qui venait de basculer.

C'est couvert de sang et pantelant que Malkis parvint enfin à trouver son chemin jusqu'à la sortie du château. La fraicheur de l'air de la montagne lui fouetta les joues alors qu'il errait dans l'avenue à la recherche d'une caserne. Des hurlements lui parvinrent régulièrement. Maintenant, Malkis était calme, il réfléchissait, malgré l'aura de chaleur que semblaient envoyer les incendies, malgré les tintements des lames, au loin, et les cris de mort perçant la nuit.

Malkis en vint à la conclusion que la Compagnie venait de se rebeller. Une guerre civile interne à la troupe des mercenaires, voilà qui n'avait jamais été fait. Malkis était calme, car au fond il aurait dû se douter que c'était la suite logique des choses. D'abord la mort d'Yvor, puis la guerre civile, tout était logique. Des hommes approchaient. Il connaissait leurs voix, c'étaient les hommes de Sym. Malkis ne voulut pas lutter. Il avait failli en tant que Conseiller, voilà tout. Il tomba à genoux. C'était donc ça le goût de la défaite ?

« Pour un aveugle, un handicapé, je ne m'en suis pas trop mal sorti. », se dit-il enfin

La mort, c'était le dû des invalides dans le Royaume Pourpre.

⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰

Les Contes Sanglants du Royaume PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant