⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰
Aethis était heureux. Assis sur le flanc d'une montagne, surplombant les innombrables vallées, pics, forêts et lacs, un petit arbre le protégeait du Soleil matinal se levant sur le paysage divin. Le garçon traçait à l'encre noire les contours de cette vue superbe sur une plaque de bois. De l'encre qu'il avait lui-même fabriquée, sur une plaque qu'il avait lui-même traitée. Tout ce qu'il possédait, c'était lui qui l'avait réalisé, la nourriture qu'il mangeait, les peaux qui lui servaient d'habits, jusqu'à ses centaines d'estampes. Tout, sauf son couteau, un petit poignard que lui avait donné sa mère. Ça, il n'avait pu s'en séparer.
Aethis était jeune pourtant, une quinzaine d'année. Mais son expérience de la vie valait autant que celle d'un homme ayant le double de son âge.
Aethis était heureux, car il était libre. Et sa liberté, c'était de n'avoir rien. Pas de parents, pas de richesses, pas d'amis. Rien.
Soudain, Aethis se leva, compara la vue avec son dessin. Sur un coup de tête, il avait décidé qu'il voulait partir. Alors il rassembla ses affaires qui tenaient dans un sac de cuir, et il prit la route, sans même savoir où cela le menait.
C'était ainsi depuis un an. Jamais il n'était resté plus d'un mois quelque part. La nuit, il dormait avec pour seul toit la voûte des arbres ou bien les étoiles au-dessus de sa tête. Les premiers mois avaient été difficiles, devoir affronter le froid, la faim, la misère... Mais au fond, tout était mieux pour Aethis que sa vie d'avant.
Cette fois, après plusieurs jours de marche dans les montagnes, son attention se porta sur une masse grise et informe recouvrant le sol plat d'une vallée. Curieux, il descendit la pente pour se retrouver face à un pont de pierre menant à une cité en ruine. Le spectacle était navrant et superbe à la fois, car on devinait aisément la magnificence passée du lieu à la finesse de l'architecture des murailles et du pont-levis.
La soif de savoir d'Aethis était grande à son âge, et il n'hésita pas à entamer la traversée du pont. Joueur, il se mit à marcher sur le rebord, sautant sur la rampe et se riant du vide sans fin qui s'étendait sous ses pieds, se penchant le plus loin possible pour sentir au plus profond de ses entrailles cette délicieuse sensation que procure l'adrénaline.
« Hé, toi en bas ! » Cria une voix au loin rompant le silence de mort.
Le garçon regarda autour de lui, cherchant la cause de ces échos sans fin. Ce n'est qu'en levant la tête qu'il put apercevoir une minuscule silhouette émerger des hauts murs.
« Vous êtes un garde ? Demanda-t-il.
—Exactement, vas-t-en petit c'est pas un endroit pour toi.
—Quoi ? Parlez plus fort !
—Dé-gage ! Fous le camp !
—Je n'entends rien, tant pis je rentre. »
Aethis avait bien entendu, mais il n'aimait pas qu'on lui donne des ordres. Il s'enfonça plus avant dans la forteresse fantôme. C'était un dédale d'escaliers et de rues étroites, probablement confectionné pour perdre l'ennemi entre ses murs. Des meurtrières ornaient chaque coin de rues, si bien que l'on se sentait observé à tout instant.
L'instinct presque animal d'Aethis ne tarda pas à lui indiquer qu'il était suivi. Mettant à profit les points d'observations que lui donnaient les meurtrières, il découvrit que c'était le garde de tantôt qui s'était mis à sa recherche. C'était un homme mince en loques, à la barbe longue et aux rides profondes comme creusées par le temps. Un bandeau couvrait son front voilé par ses longs cheveux gris. Amusé, le garçon décida de jouer à cache-cache avec le garde.
Grimpant sur des points élevés du labyrinthe, Aethis se mit à bombarder le garde de cailloux en jouant de l'écho pour l'attirer à lui. L'homme n'abandonna pas si facilement, bien que le garçon semblait tout bonnement invisible et passablement irritant. Mais au bout de quelques heures, il annonça :
« Petit, c'est pour ton bien que je fais ça. Cet endroit grouille de coupe-jarrets, tu es en danger de mort ! »
Ce sur quoi il reçut un caillou en pleine nuque. Désespéré, l'homme fit demi-tour en jurant.
La nuit tomba sur la forteresse. Fatigué de cette longue journée de marche, Aethis décida de se percher le plus haut possible pour passer la nuit en toute tranquillité. Grimpant sur un toit, il put atteindre après maints efforts un créneau suffisamment confortable pour son dos. Il contempla comme à son habitude les milliers d'étoiles loin au-dessus de sa tête. Il les connaissait par cœur, et avait même donné un nom à plusieurs constellations qui lui avaient été utiles dans ses voyages. En cet instant, Aethis était le Roi du monde, à mi-chemin entre terre et ciel, libre de tous soucis.
Soudain, un cri d'horreur retentit dans le lointain, un cri de mort. Le garçon se redressa, à l'affut. Cela provenait d'une haute tour dont la silhouette se détachait du ciel étoilé. Une unique fenêtre diffusait un point lumineux. Le hurlement cessa brusquement, et la lueur s'éteignit.
L'évènement troubla Aethis plusieurs heures, puis il sombra malgré lui dans un sommeil profond.
*prononcer « Ézice »
⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰
VOUS LISEZ
Les Contes Sanglants du Royaume Pourpre
FantasyDans le Royaume Pourpre, il n'y a pas de Bien ni de Mal. Oubliez toute moralité, tout sens de l'honneur. Asseyez-vous, et en dieu omniscient observez la masse informe des créatures qui vivent et meurent dans la poussière.