Chapitre XX: Rage Nocturne

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Résumé: La Compagnie, troupe de puissants mercenaires, traverse une guerre interne. Sym, ancien chef de clan, après avoir fait assassiner l'ancien Chef de la Compagnie par Jun, a entrepris de purger le reste de ses opposants. Ils sont bannis de la Cité du Pont Céleste, et errent dans l'inconnue.

La Compagnie avait installé son campement loin au Sud de la Vallée des Loups dont ils venaient, d'une part pour échapper au froid, et d'autre part à cause de la menace du Seigneur du Pont qui n'avait pas eu l'air d'apprécier leur règlement de compte au clair de lune. Qui sait ce dont cet homme était capable ?

Tout était calme. Le vent était doux, la lune haute par-delà les nuées de torches.

D'habitude, toute sorte de bruits envahissaient le camp, même la nuit ; des armures en marche, des rires gras, des disputes... Là, rien. Le cœur de la Compagnie s'était endurci avec la décimation de la moitié de ses troupes.

Malkis titubait entre les tentes. Il tâtonnait dans les recoins sombres, rampant presque dans les grandes allées. Son bandeau tomba, et ses yeux, des yeux vides dont les pupilles étaient entaillés d'un unique coup de lame latéral, furent exposés à la nuit. Même dysfonctionnels, ses yeux avaient la capacité de verser des larmes, seulement celles-ci n'étaient pas des larmes de tristesse. C'étaient des sanglots de rage qui résonnaient dans la nuit. Bientôt, il arriva à une tente à part, et sut instinctivement que c'était là ce qu'il cherchait.

La colère déferla soudain dans ses veines, il fit irruption dans la tente, dague en main. Malkis se mit à taillader tout ce qui lui tombait sous la main, jusqu'à ce qu'il trébuche sur la couche de Jun. Il reconnut la texture de son vêtement ; alors il agrippa son col, et leva sa dague pour porter le coup fatal.

Malkis sentait son regard peser sur lui.

« Vas-y, dis Jun. Tu ne sais même pas où frapper pour me tuer. »

La haine de Malkis augmenta encore d'un cran. Il voulut lui prouver que c'était faux, que même aveugle il pouvait l'égorger. Mais c'était comme si sa main levée était paralysée, comme si ces longues années de camaraderie l'empêchaient de tuer cet homme qu'il détestait.

La dague tomba au sol, et l'aveugle se mit à marteler Jun de coups de poing alors qu'il était encore par terre.

« Espèce de... »

Il voulait l'insulter, le traiter à la fois d'incapable, d'imbécile, de traitre, de sans-cœur... Mais il n'y avait aucun mot pour exprimer toute son horreur. Alors il se contenta de le frapper. Encore, et encore, et encore. Jun ne bougeait pas.

« Pourquoi ? Est-ce que tu as la moindre idée... La moindre idée de ce que tu as fais, hein ? J'imagine que t'as ton sac d'argent, j'imagine que t'en es fier, enfoiré ! J'imagine que tu te sens magnanime de m'avoir sauvé de tous ces traitres ! »

Jun se décida soudain à se défendre. D'un coup d'épaule, il désarçonna Malkis qui s'était accroupi sur lui. Mithra, la chienne de Jun, s'était soudain mise à aboyer, alertant les environs de ce qui se tramait.

Les gardes firent irruption à leur tour, suivis de près par une Mithra écumante. Malkis se sentit soulevé de terre, puis une pluie de coups de poings et de pieds déferla sur son corps recroquevillé dans la poussière. Même la chienne, qui connaissait bien Malkis, s'était mise à le mordre avec force.

« Du calme, fit Khroll d'une voix grave et posée. Sortez tous immédiatement. »

Sur ce, il agrippa Mithra, et balança le colosse hors de portée du pauvre homme qui gisait par terre.

« Tiens ta chienne en laisse, Jun ; et lui aussi d'ailleurs, t'as intérêts à le surveiller. Si je le revois traîner dehors après le couvre-feu, je serai obligé de le livrer à Sym, bien compris ?»

Jun haussa les épaules en essuyant le sang qui coulait de sa lèvre inférieure. Ils s'échangèrent néanmoins un regard de défi. Jun et Khroll étaient de la même trempe ; des guerriers hors du commun, comme deux loups solitaires obéissant à leurs propres lois.

Jun et Malkis étaient seuls. Le silence était retombé. L'aveugle ne bougeait plus, si bien que Jun eut peur qu'on l'eût tué à force de coups.

« T... Tu vois ce que tu m'as fait ? Tu vois ? J'étais respecté... J'étais libre... Maintenant... »

Maintenant, il n'était qu'un invalide. Il était inutile. En tuant Yvor, Jun avait condamné Malkis par la même occasion.

Malkis restait à terre.

« Tu n'es qu'un imbécile, Jun Yoko. »

Jun ne savait pas quoi dire. Il n'avait pas l'air franchement désolé non plus. Comme toujours, il avait fait les choses comme son instinct lui avait dicté de faire.

Jun prit Malkis, le souleva avec une certaine délicatesse, et le mit dans son propre lit de plume. Puis il s'en alla, emportant Mithra au bout d'une chaine de métal qui lui avait servi de laisse pendant des années. Esquivant la garde, il sortit du camp, et trouva une pierre sur laquelle s'assoir. Il prit dans une main une pierre à aiguiser, dans l'autre il calla sa hallebarde, et il aiguisa la lame.

Comme toujours, les visages de ses victimes lui revinrent, des dizaines de spectres flottant dans son esprit. Pour une fois, il n'y prit pas plaisir.

⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰

Les Contes Sanglants du Royaume PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant