Chapitre IV: Dialogue avec la Mort

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⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰

Résumé : Camaël, jeune acteur brillant, joue et écrit des pièces interdites car critiques envers le pouvoir de Main de Fer. Après plusieurs années de fuite, il finit par être pris suite à une représentation.

A son réveil, Camaël, sut immédiatement où il se trouvait. La cellule était étroite et humide, on n'y voyait que par un unique soupirail laissant filtrer un fin rayon de lumière entre les quatre murs d'acier. La Forteresse des Pleurs portait bien son nom, et tout enfant de Mogtryl avait fait au moins une fois un cauchemar à l'idée d'y être enfermé pour toujours.

« Bonjour, dit une voix grave. J'ai fait ce que j'ai pu pour votre bras, veuillez me pardonner, mon travail n'est pas de soigner les gens d'habitude. »

L'homme se tenait derrière les barreaux, assis sur un tabouret. Sur ses épaules, une longue toge blanche se distinguant des ténèbres l'environnant. Camael remarqua qu'il n'avait plus si mal au bras, et qu'une attelle de fortune y avait été attachée contre l'os.

« Vous n'êtes pas un garde, n'est-ce pas ?

—Non. Je ne suis qu'un visiteur.

—Je ne reconnais pas votre voix, pourquoi ce masque ? »

En effet, l'homme portait un masque de fer sous son capuchon, un masque magnifique par ailleurs, recouvert de sculptures.

« Tout comme un homme ne peut voir sa mariée avant la cérémonie qui les unit, tu ne peux pas voir mon visage avant demain, Camael. »

Le jeune homme comprit soudain qui était celui qui lui parlait, ou du moins il connaissait sa profession. Il fut stupéfait pendant un instant, puis, s'asseyant sur la pierre froide de sa cellule, il réalisa qu'aucun espoir n'avait été permis depuis qu'il avait été pris.

« Il paraît que les gens qui sortent d'ici après plusieurs années n'ont plus d'âme. Ce ne sont que des corps ahuris, des pantins...

—Il faut voir le bon côté des choses, Camaël, tu ne finiras pas comme ça. J'ai cru comprendre que tu étais quelqu'un d'intelligent, tu as fait tourner en rond la garde pendant plusieurs années. Ce serait dommage de perdre ça, n'est-ce pas ?

—Oui. »

Il demeura perdu dans ses pensées un instant, puis ajouta :

« Cela ne fera pas mal, au moins ?

—Tu ne sentira rien, je te le promets. Je ne suis pas un bourreau.

—Il y a une différence ?

—Parfois non, manque de budget tu comprends. Le bourreau est aussi l'exécuteur dans beaucoup de villes. Mais Main de Fer n'est pas n'importe quel seigneur bas de gamme.

—C'est lui qui vous emploie ? Fit Camaël avec cette même moue dégoutée que l'on fait en croisant un lépreux ou autre créature difforme.

—Ma famille exécute au nom du Roi depuis des siècles. Alors oui, je suis à son service. Tu ne l'aime pas, j'en conviens, mais admets au moins qu'il est bon joueur en t'accordant les services de ma famille. »

Camaël ne savait pas trop s'il devait se réjouir ou pleurer à l'idée d'avoir un exécuteur qualifié.

« Comment cela sera-t-il fait ? Allez-vous me trancher la tête ?

—Non, ça c'est le travail de mon frère. Moi ma spécialité c'est la pendaison. »

Camael avait déjà vu une pendaison, le condamné s'était débattu dans les airs pendant plusieurs minutes, les yeux si écarquillés qu'ils semblaient sortir de leurs orbites. Le jeune homme se sentit soudain nauséeux.

« C'est donc ça une mort sans douleur pour vous ? S'écria-t-il.

—Rassures-toi, je n'aime pas faire souffrir les condamnés. J'ai insisté pour que les potences soient hautes, tu chuteras longtemps avant que la corde ne te brise le cou. Pas d'étouffement, pas de mort lente. Tu seras hors de ce monde en un clin d'œil. »

Camaël sombra à nouveau dans le silence. Ses pensées tourbillonnaient. C'est dans la panique qu'il trouvait ses meilleures options de sortie, alors il donna libre cours à sa peur, à ses tremblements frénétiques.

« Allez-vous-en, ordonna-t-il en se recroquevillant dans un coin. J'ai besoin de réfléchir.

—Bien, je reviendrai demain à l'aube, si tu le veux. Je ne laisse jamais les condamnés seuls d'habitude, une question de principes. »

Enfin seul entouré de ces fameux pleurs qui avaient fait la renommée de la forteresse, Camaël se remémora son parcours. Il avait toujours été le plus fort, le plus beau, le plus aimé. Même en étant clandestin, beaucoup le considéraient comme étant le meilleur acteur de la ville. Les femmes lui couraient après du fait de sa renommée et de son visage angélique. Les ennemis étaient nombreux eux aussi, dont Main de Fer, mais aucun d'entre eux n'étaient parvenus à l'attraper, jusque-là.

Il ne devait pas mourir. Il ne pouvait pas mourir ainsi, c'était trop idiot.

En y repensant, il n'y avait qu'un seul et unique moyen de sortir de là. Par chance, il allait devoir utiliser l'un de ses talents les plus développés : la manipulation.

Béa apparut derrière les barreaux après ce qui semblait être une éternité.

« Béa ? Qu'est ce que tu fais là ?

—Je suis venue dès que j'ai su où tu te trouvais... Ils... Ils ont placardé une annonce...

—Je sais, c'est pour demain.

—Oui, murmura-t-elle en luttant contre l'angoisse. Tu as droit à des visites, étant donné que tu n'es pas un grand prisonnier de guerre... Dis-moi... Dis-moi ce que je dois faire, je ferai tout !

—Tu ne peux rien faire, pour l'instant. Mais rassures-toi, Béa, je sais comment sortir. Mon exécuteur est un sentimental, il viendra me rendre visite, il me sortira de là. S'il ne veut pas le faire pour l'honneur de sauver un innocent, je lui promettrai de l'argent. Les gens pensent que nous sommes riches ! »

Cela ne rassura pas le moins du monde Béa, elle n'avait plus confiance en l'orgueil de Camaël depuis qu'il s'était fait prendre.

« Tu ne sais pas ce que tu dis, comment peux-tu mettre ta vie entre les mains de celui qui doit te l'ôter ?

—Je ne vois pas d'autre solution. Béa, aies confiance. »

Ces derniers mots avaient été répétés maintes fois en divers évènements catastrophiques. Béa se détendit un peu. Ils parlèrent quelques minutes, mais Camaël préféra couper court la conversation qui l'angoissaient davantage à l'idée de perdre Béa.

« Camy ? Au cas où... Au cas où tu ne t'en sortirais pas... Ce sera alors la dernière fois que nous nous parlons, alors... Au revoir, ou peut-être adieu...

—Au revoir, Béa. Je vais affronter la mort pour toi. »

⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰

Les Contes Sanglants du Royaume PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant