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Résumé : Enrôlés dans l'armée du Seigneur du Pont, les mercenaires de la Compagnie s'apprêtent à ravager un village dissident. Jun, fantassin de la Compagnie, est payé par Sym pour tuer le chef de la troupe pendant la bataille.
La marée humaine des mercenaires fondait droit sur les maigres rangs des insurgés. Épées aiguisées et lances pointues contre pics de bois et faux ébréchées. Les mercenaires et les hommes du Seigneur rugissaient de plaisir à l'idée de boire le sang de l'adversaire, les soldats se bousculaient pour être au premier rang. A l'inverse, les locaux, déjà peu nombreux, commencèrent à fuir avant même que le combat ait commencé. Le choc des deux armées fut terrible, une mêlée chaotique de sons inarticulés, de cris de rage et de douleur, de cliquetis d'acier s'entrechoquant avec violence. Bientôt, la neige immaculée était teintée de rouge.
Dans la tourmente de mort, Jun marchait à pas lent aux côtés du vieux chef Yvor. Soudain, un paysan en loques parvint à traverser le blocus et se jeta sur le vieil homme, tentant de le faucher d'un coup sec. Mais Il ne fit pas un pas avant que Jun n'abattît sa hallebarde sur le sommet de son crâne qui se fendit jusqu'à la clavicule. Bientôt, ce fut Mithra qui bondit sur un autre assaillant, lui arrachant la gorge à grand coups de dents. Jun n'avait pas oublié son pacte avec Sym ; le chef devait mourir. Attentif, il attendait avec patience l'instant où ils seraient suffisamment isolés pour frapper. Yvor marchait avec lenteur, le poids des années semblaient peser aussi lourd sur ses épaules que l'armure qu'il portait. C'était presque pitié de l'achever maintenant, se disait Jun. Ils pataugeaient maintenant dans une mélasse ensanglantée de neige et de cadavres grimaçants, les blessés gémissaient à terre par centaines. Soudain, le vieillard trébucha sur un mort, s'écroulant de tout son long. Regardant de tous côtés, constatant que la folie du sang absorbait l'esprit de chaque personne présente dans les alentours, il s'adressa à Yvor :
« Désolé, chef. C'est pas contre vous. »
Levant la large lame bien aiguisée, il s'apprêta à porter le coup fatal, mais Yvor se retourna avec une vivacité surprenante et, tendant son bras, fit fuser une pointe métallique droit vers la poitrine de Jun. Celle-ci se ficha dans l'armure, perçant la peau du mercenaire sans y causer grand dommage, mais la surprise permit à Yvor de se fondre dans la masse grouillante.
Jun poussa un juron et, arrachant la pointe de son torse, partit sur les traces de sa cible. Il avançait d'un pas lourd et déterminé, bousculant hors de son chemin tous ceux qui le gênait, on aurait dit un dieu guerrier tant la flamme ardente dans ses yeux était terrible. Emergeant de la horde, il trouva une trace de pas se dirigeant vers le lointain, Yvor n'était qu'une silhouette recourbée avançant à pas lents. Jun pouvait entendre ses halètements se perdre dans sa barbe, il s'épuisait vite et Jun s'approchait inéluctablement comme la mort guettant le vieil homme.
Alors, Yvor dégaina sa lame, celle-là même qui l'avait servie durant ses glorieuses années de jeunesse, et fit face à Jun. Ses yeux luisaient d'une détermination sans limite, et il parla avec rage :
« M'abattre dans le dos, à terre comme le dernier des chiens ! Quelle bassesse, même venant de toi Jun ! Tu me répugne...
—Debout ou à terre, qu'est ce que tu veux que ça me fasse ? Fous-moi la paix avec ton honneur et bats-toi. »
Yvor chargea avec cette même rapidité inattendue que tantôt, et son épée manqua de peu le côté de Jun. Nullement impressionné, ce dernier fit siffler la lame de la hallebarde, et Yvor ne put rien faire d'autre que contrer coup après coup, reculant pas à pas, trébuchant et chancelant. Exaspéré, Jun décida d'achever un combat qui l'ennuyait au plus haut point, et exécuta une série de coups latéraux écrasant à chaque fois un peu plus son adversaire. Ces coups étaient d'une puissance inégalée, si bien que la lame du vieillard se fendit, et la pointe vola au loin pour se perdre dans la neige.
Désarmé et sans énergie dans son corps tremblant, Yvor s'accula contre l'unique arbre-spectre ornant le paysage.
« Pour qui est-ce que tu me tues ? Qui me remplacera ? Réponds Jun, je veux savoir si je dois te haïr pour ce que tu fais.
—Tu ne veux pas le savoir, chef. Tu es là depuis trop longtemps, c'est tout. »
Le chef jeta une pièce par terre, connaissant l'attrait que Jun avait pour l'or. En effet, il la ramassa. Quiconque paie un mercenaire a droit de lui demander tout ce qu'il voulait.
« C'est Sym qui m'envoie, chef. »
La terreur et la haine se succédèrent sur la face du vieil homme qui, sur une ultime folie meurtrière, bondit à la gorge de Jun.
La tête d'Yvor roulait le long de la pente, tranchée d'un ample mais net mouvement circulaire de la hallebarde.
Jun contempla le corps décapité affalé contre l'arbre-spectre. Fut un temps où il avait respecté Yvor et toutes les légendes qui avaient fait de lui le chef. Même vieux de plus de soixante-dix ans, il avait su se mesurer à lui. Mais au final, se dit-il, nous finirons tous en cadavres. Même les plus braves.
Le guerrier essuya la lame rouge dans la neige, la posa sur son épaule et tourna les talons.
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Les Contes Sanglants du Royaume Pourpre
FantasyDans le Royaume Pourpre, il n'y a pas de Bien ni de Mal. Oubliez toute moralité, tout sens de l'honneur. Asseyez-vous, et en dieu omniscient observez la masse informe des créatures qui vivent et meurent dans la poussière.