Chapitre XXII: Le Désert des Fous

35 6 12
                                    

⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰

Résumé: La Compagnie, troupe de puissants mercenaires, traverse une guerre interne. Sym, ancien chef de clan, après avoir fait assassiner l'ancien Chef de la Compagnie par Jun, a entrepris de purger le reste de ses opposants. Ils sont bannis de la Cité du Pont Céleste, et errent dans l'inconnue.

L'immense procession des mercenaires avançait avec lenteur sous le Soleil de plomb brûlant la terre aride. Le Désert des Fous portait bien son nom ; les rumeurs circulant sur cette région hostile semblaient provenir tout droit des hallucinations d'un malade mental. Le jour, la chaleur était insoutenable et la nuit recouvrait tout d'une mince pellicule de glace.

« Bon sang mais où est-ce qu'il nous emmène ? Demandait l'un des mercenaires devant Jun.

—Peut-être un groupe de nomade à aider...

—Ou à massacrer, qui sait ?

—On ne saura rien avant d'être arrivé. Il ne demande d'avis à personne à part à Khroll et... comment s'appelle-t-il ? Galion ?

—Ce guignol ? Je croyais qu'il rigolait quand il disait qu'il allait le faire Conseiller... »

Jun non plus ne savait pas où ils allaient. Cette attente l'agaçait profondément, d'autant plus que Malkis s'était efforcé de l'éviter depuis les trois jours de marche qui les séparaient de la Cité du Pont Céleste.

Le mercenaire ne savait trop quoi penser de ce qui advenait dans la Compagnie. Il ne savait pas non plus comment réagir face à la haine de Malkis depuis qu'il avait malencontreusement décapité l'ancien Chef pour une poignée d'or. Jun n'était pas réellement du genre à se poser des questions sur les choses et les gens qui l'entouraient. De son point de vue, les gens mouraient, les gens haïssaient, les gens tuaient, et il n'y pouvait rien.

Jun n'était pas un grand poète, ni un grand philosophe, mais en traversant ce désert vide, il comprenait que la façon dont il marchait à travers ce lieu hostile était en tout point semblable à sa manière de vivre sa vie : quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, cela ne changera rien à ce paysage plat et morne. Jun n'était pas un héros, il n'avait aucune intension de rendre le monde pire ou meilleur. Il avançait droit devant lui, et ceux qui se trouvaient en travers de son chemin en payaient le prix fort.

Contrairement à son habitude, et à son plus grand regret, il avait dû retirer l'intégralité de son armure qu'il avait empaquetée dans un grand sac de toile qu'il portait sur son dos. Il suait à grosses gouttes, et pas une ombre à l'horizon. Mithra, à ses côtés, ressemblait désormais davantage à un chien errant, et Jun devait souvent tirer à lui la chaine qui lui servait de laisse pour forcer la bête à avancer.

Soudain, il sentit une fraicheur inattendue l'envahir, et le Soleil de perdre son intensité. La colonne tout entière s'arrêta, et les visages rougis par les rayons brûlants se penchèrent vers le ciel assombri. Une silhouette immense parcourait l'azur, grande de plusieurs dizaines d'hectares. Ils crurent à un nuage solitaire, avant d'apercevoir les innombrables tentacules propulsant comme une flèche l'immense créature. Tous étaient paralysés, et se crurent fous, victimes de l'aura étrange du désert. L'ombre passa, s'en allant vers les montagnes lointaines. Le cirque n'était cependant pas fini, et d'autres de ces créatures vinrent peupler les cieux.

« Qu'est ce que...? »

Tout à coup, un trait argenté perça l'éther bleu, et une nuée suivirent, pour venir se ficher dans le flanc des titans célestes. Un son semblable à cent orgues secoua le sable du désert, et la créature fusa vers la terre où, manque de chance, se trouvait un grand nombre de mercenaires. Dans un choc monstrueux, la roche fut soulevée en un long sillon et la chose percuta un groupe de mercenaires qui furent projetés au loin.

Encore vivant, le monstre à la peau nacrée et luisante comme un Soleil tressaillait et ses tentacules balayaient les rangs des mercenaires.

« Tu restes ici, Mithra. Papa a un poulpe géant à aller tuer. »

Jun, dégainant sa hallebarde soigneusement aiguisée, fonça vers le colosse. Il esquiva un tentacule qui passa à raz de sa tête, puis en trancha net un autre juste à l'instant où il allait le percuter. Le sable soulevé par les mouvements frénétiques formait un brouillard impénétrable et un liquide doré coulait des plaies du monstre pour sillonner entre les pierres du désert.

Le guerrier se fraya un chemin jusqu'au corps immense à demi enterré sous le sable. D'un grand coup de sa hallebarde, il planta son arme dans la chair, et prit appui pour grimper. Il manqua de tomber plusieurs fois, glissant sur le sang suintant des innombrables plaies. Au sommet, il trouva l'œil. Un œil si grand qu'un homme pouvait y loger, et à la pupille si noire que l'on aurait dit un puit. Jun abattit sa hallebarde de toute sa force, de toute sa rage. Le hurlement animal de tantôt, faisant vibrer les pierres des montagnes, retentit de partout et de nulle-part à la fois.

« Allez crève... Espèce de... Poulpe démoniaque... »

Mais le poulpe démoniaque en question n'en avait pas fini, et sa vitalité semblait inépuisable. Le mercenaire se sentit soulevé dans les airs alors que la chose prenait son envol avec peine. Le corps n'eut pas le temps de léviter bien haut : une détonation recouvrit le vacarme alentour, et Jun fut projeté dans un mélange de chair et de sang doré. Le son des membres géants percutant la terre aride s'évanouit, et le brouillard de sable retomba.

« Voilà qui est nettement plus efficace, vous auriez dû nous laisser faire. »

L'homme avait un accent étrange, mais parlait la langue commune avec une certaine grâce. Derrière lui, une demi-douzaine de balistes dirigées par des soldats armés à la peau mate. Sym, qui n'avait eu le temps de mettre à profit sa ligne d'arbalétriers, se dirigea vers l'étranger qui venait de parler.

« Très impressionnant, en effet. Et vous êtes une tribu Tej'hid, je présume.

—Exact. Jial'sif, pour vous servir, s'inclina l'étranger.

—Sym, et voici nos braves mercenaires, ou du moins ceux que vous n'avez pas écrasé sous votre proie. »

Le dénommé Jial'sif, bien qu'il parût imposant grâce à ses habits aux couleurs somptueuses, semblait gêné comme un enfant qui venait de faire une bêtise.

« Oui, je m'en excuse, nous nous efforcerons de réparer notre erreur en apportant soins et nourriture à vos hommes.

—Volontiers, et je serai ravi d'être votre invité si cela ne vous dérange pas. Les nuits sont froides dans ce désert, un toit au-dessus de nos têtes ne sera pas de trop. »

Malgré ses paroles empruntes de politesses, Sym avait ce regard inexpressif dont les mercenaires avaient appris à se méfier. Nul doute que ce petit incident n'avait pas plu au nouveau Chef, et qu'il cachait sa colère aux yeux du dirigeant Tej'hid. Ce dernier sembla d'ailleurs ne rien remarquer.

Il fallut maints efforts pour parvenir à charger la précieuse carcasse sur une plateforme géante tirée par un ensemble de bêtes de somme au jambes particulièrement fines et longues. Il y avait un cratère de la taille d'un cheval creusé dans les entrailles de la chose.

Mithra léchait les blessures de Jun alors que ce dernier était allongé face au ciel immaculé. D'autres mercenaires vinrent lui apporter leur aide, et il s'inséra dans la longue file en marche tout en boitant. Il contempla la bête que l'on traînait, avec un mélange d'admiration et d'incompréhension.

Décidément, le Désert des Fous portait bien son nom...

⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰

Les Contes Sanglants du Royaume PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant