Chapitre X: Une Rivière de Larmes

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⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰

Résumé: Camaël, jeune acteur brillant, est condamné à mort pour insulte à la Couronne. Alors qu'il pensait avoir trouvé un moyen de manipuler son exécuteur, celui-ci le trahit et Camaël meurt sur l'échafaud. Béa, son amante dévouée, n'a plus rien au monde.

Perdue dans un champ de blé, une silhouette féminine errait à pas lents. Le Soleil se couchait sur l'horizon, rendant à l'étendue une magnifique couleur d'or. De l'or, comme les cheveux de Camaël. Une cascade blonde, dont les boucles se mouvaient avec grâce et dans laquelle Béa avait tant de fois plongée ses doigts pâles avec amour.

« Tout se passera bien, comme d'habitude. »

C'était la voix de Camaël qui résonnait dans les cieux. C'était avant qu'il ne se fasse arrêter.

Béa marchait. Le blé lui caressait les hanches et les bras. Elle avançait sans conviction, droit devant elle. Son regard était sombre, vide. Au fond d'elle, elle était déjà morte. C'était un spectre errant dans le monde des vivants. Le doux vent glaçait ses joues d'une blancheur effrayante.

« Aie confiance. » Avait-il dit.

Elle traversa les champs, les routes, les hameaux. A pas lents, sans réfléchir.

« J'affronterai la mort pour toi. »

Soudain, à son insu, elle se retrouva au milieu d'un pont. C'était si haut. Les eaux tumultueuses du fleuve hypnotisaient la jeune fille. Fébrile, tremblante comme une feuille, elle retira ses chaussures, et se percha sur le rebord. Elle se figea un instant.

Tout en bas, sur la rive droite, elle vit un saule. Une multitude de souvenirs vinrent à la vue des tiges allant se noyer par centaines dans le fleuve. C'était là qu'ils s'étaient donnés l'un à l'autre, Camy et elle, cachés par le feuillage et le son de l'eau fuyant. En tant que comédienne, Béa ne put s'empêcher de trouver là une certaine poésie digne d'une grande tragédie.

« Moi aussi, je vais affronter la mort pour toi, mon amour... »

En ce lieu, unis dans l'amour, unis dans la mort... Une véritable tragédie. Son corps se pencha en avant, savourant ses ultimes goulées d'air avant de se noyer dans l'éternité. Que c'était haut.

Soudain, elle réalisa que Camy n'avait jamais aimé les tragédies. Il les haïssait.

« Il n'y a que les snobs qui aiment les tragédies ! Disait-il parfois. C'est un truc de riches et de pompeux de s'extasier sur des imbéciles qui se tuent sur un coup de tête. »

Béa, dont les joues étaient demeurées aussi sèches que le sable du désert, fondit en larmes. Tombant à genoux sur la pierre humide du pont. Ses sanglots, réprimés depuis la pendaison, se déchaînèrent, et son désespoir sortit comme on exorcise un démon.

La nuit était là, dont le silence n'était troublé que par les pleurs de la jeune fille. Il faisait froid, mais elle n'avait plus la force d'aller se mettre à l'abris, ni même de se hisser jusqu'au rebord pour se jeter dans le fleuve.

L'esprit embué de désespoir, elle se sentit soulevée par des bras puissants. Des paroles lui parvenaient, mais elle ne voulait rien entendre. Après quelques minutes de dialogue incompréhensibles, elle fut chargée dans une cariole tirée par des bœufs. Plusieurs fois, elle se laissa glisser jusqu'à manquer de chuter sur la route. Mais on la rattrapait avec la même force que tantôt.

Béa, privée de son Camaël, n'était plus qu'un pantin que l'on traînait au clair de lune. Elle fut glissée sous une douce couverture de peau, près d'un feu réchauffant la pièce. Elle retourna à sa léthargie, les yeux dans le vague.

« Tout se passera bien, comme d'habitude... »

⊱𐄚⋞✺⋟𐄚⊰

Les Contes Sanglants du Royaume PourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant