Chapitre trois

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Hormis la pureté perlée de la façade, Riverbairn Hall était aussi vaste que sombre. La chambre d'Annabelle en témoignait. Les fenêtres étaient étroites et les tentures lourdes, propices à l'ambiance sépulcrale. Les riches enjolivements de l'ébénisterie et les boiseries murales du sol au plafond, ajoutaient à l'oppression des lieux. Les dorures usées des encadrés et autres ornements tombaient au bronze patiné sous la lumière malingre du lustre.

A peine entrée, la jeune femme s'en sentit abattue de fatigue, les paupières alourdies par les ténèbres de la pièce. « Merci, Mrs Hodgson, murmura-t-elle.

— Ne vous laissez pas démonter par l'attitude de Sa Grâce. Je vous promets un meilleur accueil par le personnel dès demain. Le mien également, ajouta-t-elle en pinçant les lèvres d'amertume. »

Annabelle lui offrit un sourire optimiste inattendu. « Madame Devereux m'a signifiée comme votre sœur a été bonne pour elle. Comptez sur moi pour me montrer au moins aussi déterminée qu'elle l'a été pour le bonheur de ma tutrice. »

Le cœur de la gouvernante se gonfla de bonheur à ses mots. Le souvenir de sa jeune sœur restait aussi douloureux qu'heureux. Savoir sa mémoire perpétuée au-delà des frontières lui était d'un grand réconfort. « Merci, miss. » souffla-t-elle, reconnaissante au-delà des mots. Elle se permit un faible sourire de soulagement. « Nous parlerons de l'intendance demain. En attendant, reposez-vous bien, miss Annabelle. »

La jeune femme opina tandis que la dame fermait silencieusement derrière elle, la laissant dans les ombres, son incertitude pour seule compagnie.

Levée et prête avant l'aube, Annabelle n'eut aucun mal à retracer son parcours de la veille à travers le corps de logis. Elle ne jeta sur son passage qu'une brève œillade aux battants gardant le bureau du méprisant duc.

De retour dans le hall côté cour, elle s'immobilisa, mains liées sur le ventre. Son regard se darda autour d'elle, jusqu'à se planter dans les hautes vitres colorées de la façade noircies par la nuit pâlissante. Elle leva le menton et ferma les yeux comme on livre son visage au soleil. Elle resta longuement immobile, s'imprégnant du parfum des tapisseries et de l'éclosion des chants des oiseaux dans le silence de la maisonnée endormie. L'odeur cuirée des boiseries; la poussière froide des tentures; la cire imprégnant les surfaces; la phrase d'une mésange charbonnière succédant aux excès du coucou.

Lorsqu'elle souleva les paupières, un sourire ténu s'accrochait à ses lèvres. Saturée de calme, elle se sentit prête à affronter les affres que lui réservait la journée.

Elle quitta le hall d'un pas digne sans savoir qu'un regard clair ne l'avait pas quittée dès l'instant où il l'eut surprise depuis le palier. Elle suivit innocemment les éclats de rires si semblables à ceux qu'elle avait quittés au béguinage.

Les gloussements féminins la guidèrent vers la cuisine. Celle-ci se trouvait au sous-sol, accessible par un escalier praticable dans un vestibule accolé à la salle à manger. Les maîtres et invités pouvaient ainsi profiter de leur repas sans supporter le tintamarre inhérent aux salles de préparations, et le cuisinier, jouir d'un espace d'apparence sans limite, tant pour exercer son art que pour entreposer les denrées dans fumoir, saloir, séchoir, et tout autre réserves mises à sa disposition.

La porte poussée, Annabelle fut happée par la jovialité, grande régnante dans cette partie du domaine. Pourtant sans fenêtre pour jouir de la lumière naturelle, la pierre brute écrue et le haut plafond étaient tout illuminés d'une clarté quasi solaire. Les recouvrements d'inox, de marbre, et des bois clairs, reluisaient de modernité sur les meubles et fournitures. A la longue table dressée non loin d'un îlot chargé de mets, des femmes en livrée plaisantaient autour de leur repas, tandis que le chef à sa tâche leur renvoyait quelques boutades à travers salle.

Annabelle Toussaint [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant