Depuis sa courte missive rassurante et l'appel téléphonique de son tuteur en réponse, les jours se succédèrent à une cadence étudiée. Le matin, dès le Duc parti ou enfermé dans son bureau, Annabelle travaillait à l'écurie jusqu'à ce qu'elle aille éveiller la Lady. Pour elle, fini de rester au lit à des heures indues, Anna la levait chaque jour un peu plus tôt afin qu'elle retrouve un rythme de vie digne. S'en suivait des exercices de marche, de maintien, ainsi que de cours de mathématiques, braille, littérature, français, histoire, géographie, ou de culture générale. La jeune femme partageait ses repas dans ses appartements, et lui faisait parfois la lecture. Elles conversaient sur la terrasse, aussi. Et riaient. Souvent.
Le renversement d'humeur de la demoiselle se fit rapidement sentir sur celle de toutes et tous. Même de son noble frère, qui préférât se taire que de chercher querelle à Annabelle. Et de Matthew, qui ne fit que peu d'histoire lorsque son oncle appela à sa participation aux travaux de la dépendance. (De ce côté, soyons sûr que l'idée de se trouver seul avec la dame de compagnie le motiva plus que la gratitude des siens.)
La nuit venue, lorsque toute la maisonnée semblait endormie – sans l'être totalement –, Anna gagnait le chaud refuge des toits. Parfois accompagnée d'un livre, de son nécessaire d'écriture ou de couture, elle y restait jusqu'à ce que sa vue se brouille. Puis regagnait silencieusement sa chambre dont elle ne voyait plus l'austérité.
Une semaine et demi passa en un clignement de paupière. La fraîcheur des changements apportés par la béguine furent si probants que les habitants auraient bien pu jurer que des mois se soient écoulés... ou n'aient jamais existé.
Ce matin là encore, Annabelle se prépara avec entrain. Avec tant de hâte qu'elle renversa la carafe d'eau que Mrs Campbell ne manquait pas de lui préparer pour la nuit. Son poignet droit, fort sollicité depuis des jours, lui jouait des tours, et réparer les dégâts la mit en retard. Si bien qu'elle réajustait encore les épingles de sa coiffe en descendant les escaliers au pas de course. Elle ralentit juste avant de croiser Mr Hodgson qui apportait le journal aux appartements du Duc, le salua dignement, et accéléra à nouveau le pas une fois dépassé.
Elle pénétra dans le grand hall en même temps que Matthew passait la porte d'entrée. « Bonjour, miss, salua-t-il d'emblée dans un large sourire avenant. Prête pour une nouvelle matinée sur le toit de l'écurie?
— Mon lieu favori! plaisanta-t-elle en s'immobilisant sous les marches.
— Personnellement, mon lieu favori reste en ta présence, argua-t-il dans un badinage feint.
— Je passe aux cuisines et je suis prête, éluda-t-elle. Mangez-vous ici ce matin, monsieur? »
En l'interrogeant, elle tenta de reprendre son chemin, mais il se plaça sur sa route. « On peut se passer des politesses, non? On s'appelle par nos prénoms.
— Je crains que non, réfuta Annabelle d'une invariable douceur.
— Pourquoi pas? Nous avons le même âge. Nous pourrions nous fréquenter, ajouta-t-il après un regard caressant à sa silhouette.
— Nous fréquenter, vous dites? Je doute que nous ayons la même définition du terme, monsieur. Quand bien même, et au risque d'avancer vers un jugement hâtif, je ne fréquente pas les hommes tel que vous devez fréquenter les femmes.
— Te voilà à nouveau à jeter le chaud et le froid, à faire l'orgueilleuse. Mais c'est bien toi qui soulève ta jupe pour monter à l'échelle en sachant que je suis en-dessous à regarder. »
Goujat mal dégrossi! Au lieu d'essayer de l'éviter, Annabelle envahit son espace sans pour autant perdre de son flegme pédagogue. « Même si je me troussais jusqu'à la taille, ce ne serait certainement pas pour satisfaire l'ego d'un enfant. On octroie aux autres le respect que l'on se porte à soi-même. Voilà pourquoi je peux évaluer sans trop m'avancer que vous ne vous portez que peu de respect, monsieur. Je ne peux donc tolérer votre familiarité. Passez votre chemin, à présent. Je préviendrai Mr Hodgson que je vous aie congédié. »
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Annabelle Toussaint [Terminé]
RomanceAbandonnée à la naissance, Annabelle a grandi dans une communauté refuge de femmes, à la fois moniale et libre penseur, vivant encore comme au temps de sa création deux siècles plus tôt. L'éducation qu'elle y a reçue conduit Anna à offrir ses quali...