Épilogue

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Rudyard se délesta de son manteau récupéré par Mr Hodgson à même ses épaules. « Comment était-elle? interrogea-t-il sans avoir besoin d'en préciser davantage.

- Le seul indice qu'elle ait donné fut un sourire, monsieur. »

L'image du dit sourire, fin et secret, s'imposa à son esprit aussi clairement que si son épouse se trouvait devant lui. « C'est que l'entretien avec le cardinal s'est bien déroulé, présuma-t-il avec une pointe de fière tendresse. Où se trouve-t-elle?

- Elle s'est dirigée vers l'aile sud avec un plateau. » La serre... « Nous ne l'avons pas vue reparaître. »

L'homme acquiesça en remerciement et s'en alla hâtivement rejoindre sa bien aimée.

Sous la verrière qui commençait à se peupler de couleurs estivales, le grand châle de laine blanche se trouvait négligemment posé en travers du dossier du siège de rotin, comme s'il avait glissé du dos de sa propriétaire. Une vision que Lord Percy chérissait: retrouver ses soyeux foulards et drapés au détour d'une pièce tenait preuve de la présence de la maîtresse de maison, concrète et investie dans ces lieux.

Pourtant, dans la serre, aucune trace de chair et os de la châtelaine. Pas même du plateau qui aurait dû l'accompagner.

Tel un apprenti détective, après avoir relevé les indices de son passage, Rudyard traversa la serre jusqu'aux jardins à la poursuite du signe suivant. Les miettes d'un sablé égrainé sur un pas japonais à l'attention des oiseaux; la tige proprement sectionnée de la première rose coupée de la saison; des gouttes d'eau s'éloignant de la pompe à main servant à arroser les plantes les plus gourmandes.

Le "Kiosque des Esprits Écossais", tel que l'appelait affectueusement Annabelle, se profila. Il put juger que la jeune femme ne s'y trouvait pas avant d'y être arrivé. Sur la petite table ronde, un fin vase contenait la rose cueillie, et le plateau de thé y était abandonné.

En tournant sur place à la recherche du témoignage suivant, Rudyard avisa les roulis de la rivière et fut pris d'une sueur froide. « Anna?! » héla-t-il, un brin de panique dans la voix. En périphérie de sa vision, les herbes folles remuèrent. Au milieu, un bras pâle apparut. « Je suis là... »

L'homme retint un rire entre amusement et apaisement. Il rejoignit l'ombre des noisetiers. Sur une branche était accrochée la robe dont il avait fermé les derniers boutons en aide (Lentement, en appréciant la vue de la nuque dégagée par les cheveux rabattus sur l'épaule nue qu'il avait embrassé en conclusion.) au petit matin.

« Tu as plongé dans le terrier du lapin blanc? » s'amusa-t-il en découvrant enfin son épouse légèrement vêtue, couchée sur un drap étalé dans les herbes fauchées tardivement, radeau voguant au milieu de lames de pissenlits et boutons d'or. Yeux fermés, elle sourit sans répondre. Tandis qu'il désenchantait: ses cheveux détachés étaient mouillés, comme son fond de robe satiné. « Non! Dis-moi que tu n'as pas fait ça!

- Je ne crois pas être autorisée à mentir à mon époux, monsieur! plaisanta-t-elle en diversion.

- Bon sang! Anna! s'indigna-t-il coléreusement. Par quel caprice infantile t'es-tu risquée à nager dans ce charnier?

- Je me suis laissée appeler par la joie de retrouver ses eaux. »

La puérilité avec laquelle elle prenait l'affaire frôlait la fatuité. Il s'agenouilla près d'elle pour prendre son visage en coupe, l'obliger à supporter son regard furieux. « Promets-moi que tu ne recommenceras jamais, ou je te jure que les bagages à peine défaits seront embarqués dans l'heure, qu'en bien même Matthew ait-il été appréhendé! »

L'amusement d'Anna fondit face à la peur qu'elle put lire dans les yeux bigarrés. Elle s'empara doucement des mains moites de terreur. « C'est promis. Cette fantaisie ne valait pas d'éveiller ton alarmisme. J'en suis désolée. » Le Lord poussa un soupir et caressa les cheveux humides en cherchant à recouvrer son self. « Embrasse-moi, Rudyard... » Il plongea les yeux dans ceux contrits brillants d'attente. Il se pencha sur les lèvres offertes qui l'accueillirent avec passion. Anna l'attira plus près et rapidement, les baisers s'enfiévrèrent.

Annabelle Toussaint [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant