Annabelle Toussaint [Terminé]

Chapitre dix

Il plût. Et plût encore.

Faisant feu de tout bois, Annabelle convertit les promenades en cours de cuisine conduisant la jeune fille à quitter ses appartements par l'appât de gâteaux au chocolat.

D'abord hésitante, Katherine se révéla commis de premier ordre lorsque la dame de compagnie était seule à le voir. Dès que le chef regagnait son antre, la petite perdait ses moyens et invoquait tous les prétextes pour disparaître dans sa chambre.

Lui faire regagner sa confiance en elle restait le plus ardu des challenges. Annabelle allait devoir revenir à la charge du Duc à propos de la jument. Mais entre le vouloir et le faire se tenait une fâcheuse réalité: les horaires du Lord, réglés comme papier à musique, éreintants comme l'apprentissage du vingt-quatrième caprice de Paganini. Parti à six heures trente tapante, les séances de la Chambre finissant régulièrement entre dix-neuf et vingt-deux heures, il restait à Londres ou ne reparaissait pas avant deux heures du matin. Et là encore, il gagnait son bureau pour quelques heures. Abreuvé de thé noir et de fatigue, il était à prendre avec des pincettes. De subtiles et délicates pincettes!

L'atmosphère adoucie de Riverbairn Hall était rongée par l'irritabilité du châtelain. Annabelle attendait qu'il soit en de meilleurs dispositions. Ce qui pouvait ne jamais arriver! constata-t-elle un matin en l'entendant pour la première fois rabrouer un membre des domestiques.

Une nuit où elle rédigeait un courrier destiné à son amie Sophia, elle entendit le claquement de portes et de pas énergiques assourdis à l'étage supérieur. « Sa Grâce rentre tout en délicatesse! » se dit-elle non sans sarcasme. Elle sursauta à l'association qui venait de la frapper: à chaque fois qu'elle l'avait abordé lorsqu'il avait l'air détendu, il avait été hargneux. N'était-ce pas le moment de faire les choses à l'envers?

Elle se rua hors de l'aile par l'escalier menant directement au corps du logis et monta les deux étages après un passage aux cuisines. Elle frappa à la porte de l'auguste bureau. « Nicole, je vais vous faire manger votre tablier si vous vous êtes relevée pour me parler à nouveau du pro-... » La fin de la phrase succomba à l'ouverture à la volée. Lord Percy passa de l'exaspération, à l'étonnement, à la confusion, en un battement de cœur. Il posa les yeux sur le plateau entre les mains de la jeune femme. « Ça ne sent toujours pas le thé noir.

— Votre odorat ne vous fait pas défaut.

— Vous avez augmentez la dose de poison? questionna-t-il platement.

— J'ai préféré changer d'apothicaire, répondit-elle sur le même ton. »

Il s'effaça pour la laisser entrer et ferma derrière elle avant de l'inviter à poser sa charge sur la table basse entre canapé et bergères à oreilles. « Avec quoi allez-vous me rendre malade, ce soir?

— J'ai pensé que le thym serait une alternative raisonnable au goût fort du thé noir que vous affectionnez.

— Vous pensez beaucoup trop, miss Toussaint.

— Encore une caractéristique universelle féminine, peut-être? hasarda-t-elle »

De la main, il la convia à prendre place sur une bergère. Elle lissa sa jupe sous elle pour s'asseoir.

« Vous vous y connaissez certainement plus que moi sur le sujet, reprit-il en s'installant sur les coussins face à elle.

— Je ne vais pas m'aventurer sur ce chapitre, Votre Grâce. »

Elle servit les tasses et lui tendit la sienne qu'il ne prit pas. « Êtes-vous sûre de vouloir me faire goûter avant d'avoir fait la demande qui vous tient assez à cœur pour vous engager dans mon bureau en pleine nuit?