Chapitre vingt-six

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Annabelle s'éveilla au milieu de l'après-midi dans le moelleux des oreillers. Elle n'eut pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir qui se trouvait dans la pièce. La douce odeur musquée du Lord flottait autour d'elle comme plusieurs fois par jour. Et, tout proche, un bruit connu et reconnu entre mille: celui des perles qu'on égrène. « Vous n'avez pas encore attaché d'ail aux linteaux? » marmonna-t-elle.

Tout à son chevet, madame Devereux cessa de prier son chapelet pour grimacer une sourde remontrance. « Pas encore les paupières soulevées et déjà sarcastique! C'est que tu vas bien. »

La jeune fille se redressa tant bien que mal sur les coussins. Malgré la présence régulière du châtelain, elle éprouvait un persistant embarras à se montrer dans la position d'un tel abandon sous sa surveillance.

« Je suis heureuse de vous voir, madame.

— Moi aussi, Anna, s'adoucit la femme dans un sourire tendre. La congrégation te fait part de leurs vœux de bon rétablissement.

— Comment se porte monsieur?

— Fort peu enclin au flegme, comme tu peux l'imaginer! Je crains qu'il ne retrouve pas son calme avant de te savoir de retour, en sécurité. » Le Duc se détourna subitement vers la fenêtre et la dame en sourit d'amusement. « Mais nous verrons cela plus tard, éluda-t-elle. Tu n'es pas encore en état de voyager. D'ailleurs! enchaîna-t-elle en prenant un ton morigénant. Qu'as-tu fait?

— En quoi, madame?

— Tu as encore de la fièvre. »

L'homme se raidit et approcha à grands pas inquiets. Annabelle s'empourpra, prise en faute. « Allons, ma fille, sermonna la dame. Déjà enfant, lorsque tu avais quelque chose de trop lourd sur le cœur ou que tu te donnais trop à tes tâches, tu avais les oreilles qui rougissaient sous l'effet de la fièvre.

— J'appelle le médecin, décida d'emblée Rudyard.

— Vous appelez votre médecin à chaque coup de fièvre de votre sœur, monsieur?! questionna la béguine d'un invariable ton condescendant. Ou à son moindre ballonnement?! Je plains ce pauvre toubib! Laissez donc votre téléphone en poche et dites-moi si la maison compte une baignoire. »

Il répondit par l'affirmatif. « Dans mes appartements.

— Bien. Passez-moi cette couverture là-bas. »

Anna, abêtie par la tournure que prenait les intentions de sa mère, les observa quelques secondes, espérant qu'elle se raviserait. Ça aurait été mal la connaître. « Non, non, non, refusa catégoriquement la jeune femme en s'enfonçant inconsciemment dans le lit, escomptant y disparaître. Madame!

— Quoi?!

— Vous ne pouvez pas décider ainsi de violer l'intimité de Sa Grâce! »

La dame lâcha un bref éclat de rire narquois, mais parvint de justesse à retenir les propos qui voulaient rebondir sur ceux de sa fille. « Sa Grâce s'oppose-t-elle à ce que ma fille jouisse de sa salle de bain? » interrogea-t-elle à la place, sans pour autant atténuer le persiflage.

Il lui adressa un regard mauvais, de toute sa hauteur. « Sa Grâce est prête à permettre si vous cessez vos allusions, madame. Je comprends parfaitement les subtilités de votre langue.

— Si j'en avais douté, j'aurais choisi un terme moins ambiguë!

— Je vous en prie, madame, se plaignit Anna, son visage entier se colorant de cramoisi.

— Bien! accorda-t-elle en levant les yeux au ciel. Ma misandrie et mes préjugés prennent vite le dessus. Veuillez m'en excuser, monsieur. Puis-je aller préparer le bain, à présent? »

Annabelle Toussaint [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant