Chapitre vingt

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Il existe un lieu de silence. Tout est immobile. Même le bruit de notre propre flux sanguin n'a plus d'écho dans ce lieu d'inertie. Les murmures intérieurs s'y étouffent et s'éteignent.

C'est ainsi qu'Annabelle imaginait les profondeurs océaniques. Désertes pour les sens bien que grouillantes de vies alentours. C'est dans ce lieu qu'elle résida. Vide dans l'immensément plein.

Lord Percy... Il ne fut pas offensant. Ou glacial. Il ne fut pas muet. Ou taciturne. Elle lui parlait des progrès de Kathy, et il répondait. Y répondait comme on prend ses notes au dictaphone. Sans lui accorder un regard.

Elle les chercha un temps, ces yeux fascinants qui l'avaient contemplée avec ferveur. Un temps seulement. Elle ne les poursuivit bientôt plus. Mettre son énergie à désirer les sonder à la recherche d'une réponse lui apparut aussi dénué de sens que de raccommoder des chaussettes dans un monde où le prix d'une paire neuve est moindre que le coût du fil à repriser.

Elle courba le dos et baissa la tête. Rejoignit sa modeste place dans sa modeste carcasse. A l'abri en elle-même. Mais le soir venu, quand elle retrouvait la glaciale touffeur de sa chambre, elle ne pouvait plus ignorer la douleur qui s'était installée dans sa poitrine tout au long du jour. Si sa tempérance refusait de se laisser arracher des larmes, cela lui broyait indéniablement le cœur.

Elle reprit ses réserves vis-à-vis du reste du personnel. Elle passa moins de temps dans la joviale cuisine et garda ses distances à leurs colloques. D'abord étonné par sa discrétion emprunte de solennelle politesse, Mr Campbell s'inquiéta lorsqu'elle vint à décaler ses heures de repas pour éviter l'empressement qu'ils mettaient à la lier à leurs interactions. Il eut beau la questionner, elle resta campée sur la mensongère réponse qu'elle cherchait à reprendre le rythme du béguinage en prévision de son départ. Il se fit à l'idée. Comme elle.

Un petit mois après l'audience de justice, la fatigue prit promptement possession d'elle. Refusant de se laisser aller, elle s'en débattit de toute sa détermination. Puis vint la toux qui lui rompait les côtes chaque matin, et la constatation que le mal qu'elle ne pouvait moralement combattre se trouvait également physique.

Les bienfaits des tisanes et la réduction de ses excursions nocturnes dans l'air humide apaisèrent les crises maladives. Elle se cantonna à parcourir les jardins à la faveur du soleil au zénith lorsque Lady et Lord déjeunaient.

Elle y trouva un peu de réconfort et aussi le goût d'une plus grande solitude. Elle fut donc désappointée lorsque Matthew la rejoignit sur le banc ayant vue sur le nid d'hirondelles déserté par les oisillons.

« Les premières fraises du jardin, lui dit-il avec entrain en lui présentant un panier bien rempli. Elles vous tentent?

— Je m'en voudrais d'en priver les desserts de Mr Campbell.

— Il n'est pas sur une... »

Elle refusa néanmoins dans un faux sourire. Il haussa les épaules et croqua dans un fruit juteux. « Vous voulez venir aux écuries? Il parait qu'une stalle est en train d'être réorganisée pour accueillir l'un des étalons. Si c'est vrai, ça pourrait dire que le Duc compte aller en balade avec Kathy. »

Aussi réjouissante était l'idée que Lord Percy ait changé d'avis tel que prédit, elle préféra s'éviter une rencontre inutile.

« Que faut-il pour attirer ton attention?! s'énerva le jeune homme en se levant d'exaspération. Je te propose juste d'aller aux écuries!

— Et je ne tiens pas à m'y rendre, je vous remercie, monsieur. »

Il serra les dents si fort qu'elles crissèrent. « Oh je comprends, grinça-t-il. Tu préfères que nous soyons seuls... »

Annabelle Toussaint [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant