Chapitre trente

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Cela faisait des années qu'Annabelle n'avait plus entendu le son d'un réveil. Même lorsque ses missions l'envoyaient dans des contrées en décalage horaire du sien, elle s'éveillait avec les oiseaux avant les premières lueurs du jour. Sophia comparait cette capacité à la taphophilie, affirmant de son ton taquin que même un vampire n'avait une telle conscience du cycle solaire.

Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait partagé matelas ou paillasse avec quelqu'un, amie ou enfant manquant cruellement de tendresse maternelle.

Ce matin était bien différent.

Ce matin, le ciel s'éclaircissait déjà derrière les tentures lorsque les premiers signes d'éveil apparurent. Ce matin, ce n'était pas elle qui chauffait les draps pour deux. Ce matin, c'était elle qui profitait d'une aura brûlante. Et bon sang, elle fournissait assez de chaleur pour alimenter un haut fourneau!

Annabelle accueillit le retour de sa conscience avec satisfaction, poursuivant le rêve dans sa réalité. Couchée sur le dos, elle tourna la tête dans cette chaleur divine du corps posé sur le côté à l'odeur boisée sans aucune trace d'âcreté. Dans cette odeur d'homme dont la note musquée ne faisait pas plisser le nez!

Tendre et pesant. Telle était la matière léthargique impérieuse en travers de son ventre, qui dentelait son désir d'arrêter le temps. Elle posa la main sur la peau duveteuse et la remonta lentement jusqu'à trouver son homologue masculine s'appropriant ses côtes. Les grands doigts cherchèrent instinctivement à s'entremêler aux siens et la prise du bras se fit plus possessive.

Rudyard se rapprocha en attirant les formes féminines contre lui, enfouissant l'arrête du nez sous l'oreille à la recherche du parfum floral. Le front sur sa tempe, il embrassa la mâchoire d'Annabelle avant même d'être sorti de son sommeil. Satisfait de la position, il soupira doucement en s'y abandonnant, et la jeune femme frissonna à la caresse de repousse de barbe sur sa peau sensible.

« Bonjour, marmonna-t-il après de longues minutes à apprécier l'incomparable douceur du matin dans les bras de sa belle.

— Bonjour. » répondit-elle dans un sourire audible. Elle ne voulait pas quitter ce monde, pourtant, sa moralité l'obligea à souligner le lever du jour d'un ton indéniablement mélancolique: « Vos devoirs doivent déjà vous attendre au pied du lit. »

Rudy ânonna une disconvenance alléguant indistinctement qu'on pouvait se passer de lui. Anna voulut changer de position, mais l'homme, l'interprétant comme une tentative de fuite, glissa le second bras dans le creux de sa nuque et emmêla plus étroitement leurs jambes. « Nous ne sommes esclaves de personne. Reste là, ma douce. »

Anna rigola: « J'ai la jambe qui s'endort!

— Fais-en autant! »

Son rire prit de l'ampleur. « Vous pourriez vraiment vous rendormir?

— Si tu restes là, sans problème, assura-t-il en souriant, paupières toujours closes.

— Alors, je ne bouge plus.

— Parfait. »

En effet, Lord Percy fut rapidement en passe de s'endormir, son esprit voguant entre cette chambre et son projet dans l'atelier déterminé. Il se disait que ça n'allait pas assez vite, qu'il aurait voulu avoir fini dès ce jour. Pour ça, il lui aurait fallu de l'aide. Il ouvrit les yeux subitement, frappé par cette pensée: de l'aide, il pouvait en obtenir de "ses frères". Ibrahim et les autres étaient disposés à le soutenir pour toutes édifications. Ce qui était exactement le but de son dessein...

« J'ai des coups de fil à passer! » annonça-t-il hâtivement, faisant sursauter la jeune femme plongée dans son ravissement. Il lui embrassa le front et ouvrit les draps pour s'en extirper. « Je peux utiliser ta douche? » jeta-t-il en se levant avec empressement. Hébétée, elle souligna qu'il était chez lui, et il rit: « Je n'ai pas l'impression! Ça ressemble à la nuit que j'aurais passée si tu m'avais invité chez toi pour ce dernier verre.

Annabelle Toussaint [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant