Chapitre six

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Des instructions furent données et suivies dès la première heure. Certains changements devaient arriver progressivement, d'autres devaient se faire immédiatement, avait expliqué Annabelle au personnel rassemblé en cuisine pour le petit-déjeuner.

Les tentures des appartements de Lady Kathy devaient être ouvertes chaque matin et fermées chaque soir. « La lumière du jour se perçoit avec plus que les yeux. C'est un besoin vital et un remède au moral. » leur dit-elle en aidant à dresser le couvert. Aussi tenterait-elle d'astreindre la jeune fille à une promenade quotidienne, mais en attendant qu'elle en ait la force, la brise des fenêtres une heure par jour ferait l'affaire.

Également, une horloge adaptée était indispensable. La Lady devait renouer avec le temps. « Je ferai la demande d'un réveil parlant et d'une montre tactile à Sa Grâce. Mais il me semble avoir vu une horloge de parquet dans le vestibule de l'aile Sud. Pourrait-on l'installer au rez en attendant mieux?

— Absolument, agréa la gouvernante. Matthew pourra s'en charger.

— Je lui donnerai un coup de main, intervint Mr Campbell.

— Merci. Inutile de la disposer dans les appartements même: Lady Katherine risque de devenir irritable si elle doit supporter le tic tac jour et nuit, ajouta-t-elle sur le ton de la plaisanterie. Le couloir devrait suffire.

— C'est noté. Quoi d'autre?

— A moment ou un autre, des repères tactiles au sol pourraient servir, mais nous n'y sommes pas encore, songea-t-elle tout haut. Oh oui! se souvint-elle. A-t-elle un animal de compagnie ou une passion qui l'occupait au château?

— L'équitation. »

Annabelle se retourna vers la prise de parole derrière elle en s'exclamant d'un enjoué « C'est parfait! » dont le sourire mourut sur ses lèvres. Le noble Percy se dressait dans la clarté impartiale des cuisines, un costume sombre tendu sur sa stature athlétique, le journal sous le bras. Anna baissa aussitôt pudiquement les yeux et livra son habituelle révérence. « Votre Grâce.

— Bonjour, misses, Mr. » Il la contourna pour rejoindre sa place en bout de table le temps que le personnel lui réponde et retombe dans le mutisme. « En quoi est-ce parfait, miss Toussaint? reprit-il, une fois servi de café.

— Les animaux sont une source de tendresse et de dépassement de soi. Une responsabilité qui pousse à l'autonomie. Un chien ou un cheval serait une compagnie idéale et un moteur de motivation pour Lady Katherine. »

Il posa le quotidien à côté de lui, la main dessus, le bout des doigts jouant avec les bords pliés des pages, tel qu'il l'avait fait la veille sur la serviette brodée. Bien qu'Annabelle ne lui offre que la vue de son visage modestement penché, il ne la quittait pas des yeux dans le silence qui s'éternisait.

Son timbre grave aux accents doucereux présageant duretés répondit enfin: « Il y a de cela moins de vingt-quatre heures, il me semble, miss, vous avoir expressément demandé de ne pas imposer plus de travail au personnel de Riverbairn.

— J'en ai conscience, Votre Grâce.

— Visiblement non. Avez-vous idée de ce qu'impliquerait de faire venir la jument de Lady Katherine? Et je ne parle là que de la faire venir, non de s'en occuper quotidiennement.

— Dites-moi, et je me mets à la tâche aussitôt. »

Un rire sec sans joie cingla l'air. « Cela n'est pas de vos compétences. N'avez-vous pas plutôt quelques chapelets à réciter, ou travaux d'aiguilles à réaliser? » Annabelle ploya davantage l'échine. Mais elle fut seule à savoir que c'était pour y dissimuler son amusement. Et si son dos tressaillit, ce ne fut que d'une hilarité contenue. Elle? Égrenant un chapelet?! Madame Devereux elle-même s'esclafferait d'une telle image!

Annabelle Toussaint [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant