Chapitre quinze

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« Vous vivez vraiment ici?! s'exclama Annabelle en quittant la voiture, le regard braqué aux fortifications.

— En automne et hiver. Nous ouvrons au public dès le printemps. Mes ancêtres ont multiplié les activités proposées aux visiteurs, cela devient vite invivable. »

Elle opina avec compréhension: des groupes armés de téléphone et appareil photo se formaient déjà par dizaine aux abords de la barbacane. Elle concéda mieux qu'il ait pu percevoir sa venue comme intrusive si Riverbairn était déjà le refuge à l'envahissement de son domicile.

« Vous ne semblez pas avoir le même goût qu'eux pour l'entertainment.

— Cela finance les collections, les rénovations, et une partie des aides au comté. Je n'en apprécie pas moins de pouvoir trouver le calme lorsque je le cherche.

— Je ne peux que m'associer à ce point de vue. »

Le fin sourire de la jeune femme commençait à le martyriser. Des chuchotis et des regards dans leur direction étaient échangés parmi un groupe touristique. « Venez, invita-t-il. Avant qu'on ne me reconnaisse pour de bon... » L'impératif de s'éloigner lui fit glisser le bras autour de la taille d'Anna pour l'entraîner au plus vite. « Nous allons entrer par les cuisines. » Elle suivit sans un mot, la tête modestement baissée, la gorge sèche et le pouls tonnant.

Le Duc déverrouilla d'une clef un boîtier sur lequel il tapa un code, et une porte dérobée s'ouvrit. Ils croisèrent nombre de personnel saluant protocolairement le noble au fil des salles et escaliers qu'ils empruntèrent. Lorsque la jeune femme osa relever les yeux, une exclamation émerveillée s'échappa de ses lèvres. Rudyard en sourit de contentement.

« Veuillez m'excuser, fit-elle, confuse.

— Pas d'inquiétude. Ça fait ça à tout le monde, plaisanta-t-il.

— C'est magnifique! »

Elle se dégagea doucement de sa poigne, les yeux écarquillés de souhaiter tout voir à la fois. Il laissa traîner la pulpe de ses doigts le plus longtemps possible sur les lacets de la ceinture corsetée, fasciné par le contact doux et chaud du tissu brodé.

« C'est si grand et lumineux! poursuivit-elle en s'avançant vers la cheminée de la salle à manger. Comment deviner pareil décor dissimulé par ces murs austères?! »

Il ne répondit rien, trop occupé à la contempler dans cet environnement féerique pourtant familier, presque intime. Elle glissa amoureusement les doigts sur les touches du piano. Sa tenue dont il ne remarquait plus l'originalité, n'avait plus rien d'un autre temps dans ce lieu chargé d'histoire. Elle était faite pour y flâner.

« Vous jouez, Votre Grâce? » Il cligna pour se sortir de sa vision et dû s'éclaircir la gorge. « J'ai appris oui. Et vous?

— J'ai eu cette chance. Je n'ai malheureusement pas une très bonne oreille, se moqua-t-elle d'elle-même. Mais pardon, dit-elle en secouant la tête de confusion, je vous fais perdre votre temps. Vous souhaitez certainement rentrer avant que les visiteurs n'affluent.

— Rentrer? Je suis chez moi, miss, rappela-t-il avec amusement. Les visiteurs ne sont pas admis ici. Vous avez la prérogative d'un tour rarissime. »

Avant qu'elle ne puisse se détourner, il tendit la main en sollicitation. « Je vais vous montrer la chambre de Kathy. » Elle opina et le rejoignit sans pouvoir dissimuler la confusion de son expression. Bien sûr, elle ne s'empara pas de la main. Sans perdre la face, il l'écarta simplement en invitation à le précéder. Ce tête à tête la mettait mal à l'aise et il semblait s'en réjouir comme d'une victoire.

Annabelle Toussaint [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant