« Votre Grâce?
— J'arrive, Mr Hodgson, répondit la voix grave depuis la chambre attenant au salon ouvert. »
Il ajusta le t-shirt uni sur la ceinture du jeans et rejoignit l'homme à la porte de l'antichambre. Comme tous les matins de semaine, il récupéra le journal que lui tendait le majordome. « Merci, Mr Hodgson. Pourriez-vous sortir le caban plutôt que le manteau long, je vous prie.
— Ce sera fait, monsieur. Dois-je comprendre que vous serez présent pour le thé? questionna l'homme en lui emboîtant le pas.
— Je l'ignore. L'ordre du jour ne requiert pas ma présence à la Chambre, je vais en profiter pour régler les affaires avec Mr Finn au château. Si vous avez quelque chose à faire passer là-bas, mettez-le dans le coffre de l'Audi.
— Je vous remercie, monsieur. Dois-je faire prévenir Matthew? »
Lord Percy s'immobilisa entre deux volées. Il envisagea l'option de la plus optimiste vision, imagina de se trouver sans diversion possible à l'arrière de la voiture. S'ajouta l'idée d'approcher consciemment miss Toussaint de ce jeune homme, ce qui lui donna des envies de meurtre. « Non. Je vais conduire, préféra-t-il en reprenant le trajet.
— Autre chose, monsieur?
— Non. Le reste est déjà organisé avec Mrs Hodgson.
— Bien, monsieur. Je vais faire le nécessaire. »
Il opina, et le majordome le laissa entrer seul dans le vestibule des cuisines, comme chaque matin. Comme chaque matin... Pourtant, ses paumes étaient singulièrement moites en pénétrant dans la lumineuse salle où le joyeux brouhaha quotidien était déjà bien installé.
Mrs Logan amusait le monde attablé du compte-rendu du dernier appel de son fils, contant avec moult détails les babillages de sa première petite-fille. Miss Larry allait et venait dans ses préparatifs matinaux, l'œil ensommeillé, n'écoutant que d'une oreille distraite. Mr et Mrs Campbell échangeaient des boutades à mi-voix dans l'activité des fourneaux, accumulant les taquineries qu'ils ne pourraient se faire une fois le travail des dames entamé. Mrs Holland commentait gaiement les exploits de la nouvelle-née de Logan tandis que Miss Toussaint partageait son attention entre une brioche et la photo que lui présentait cette dernière sur son téléphone. Voir la béguine manipuler un smartphone le frappa de surréalisme.
« Bonjour, misses, Mr.
— Bonjour, Votre Grâce, répondirent-ils. »
Les conversations reprirent aussitôt, légèrement plus feutrées. Rien d'inhabituel à nouveau. Hormis la raideur de ses épaules et la boule d'inquiétude qui commençât à se former au creux de son estomac.
Annabelle perçut rapidement la variation d'atmosphère entourant le Duc. Il n'ouvrait pas son journal, se servait du thé sans attendre que miss Larry soit un peu mieux éveillée, regardait Mr Campbell en le remerciant de sa constante politesse. Comme s'il avait hâte d'en finir. Du coin de l'œil, elle remarqua les doigts écorner le bord des pages du quotidien posé sous son avant-bras. Un signe de nervosité dont elle n'avait plus été témoin depuis des semaines.
Lorsqu'il prononça son nom à mi-voix, elle se figea ostensiblement: ça ne pouvait pas être bon signe. « Oui, Votre Grâce? répondit-elle sans chercher à passer au-dessus des voix l'entourant.
— Je dois me rendre au château d'Alnwick. Voudriez-vous m'y accompagner? »
Elle tourna les yeux, se constituant inéluctablement captive de ceux vairons, fixes et incroyablement francs. « Pour quelle raison, Votre Grâce?
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Annabelle Toussaint [Terminé]
RomanceAbandonnée à la naissance, Annabelle a grandi dans une communauté refuge de femmes, à la fois moniale et libre penseur, vivant encore comme au temps de sa création deux siècles plus tôt. L'éducation qu'elle y a reçue conduit Anna à offrir ses quali...