Chapitre dix-sept

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Le talkie grésilla au moment où Annabelle allait retirer les épingles de ses cheveux. Visiblement, l'adolescente ne s'était pas mise au lit après son départ. « Oui, miss Katherine?

— J'ai un problème, fit la voix paniquée montée dans les aiguës.

— J'arrive, miss. »

Elle replaça la pauvre attache qu'elle avait eu le temps d'enlever, et prit l'escalier de traverse entre chambre et salle de bain du palier. Le parquet craqua sous ses pas légers. « Miss Toussaint. » s'annonça-t-elle en entrant dans le salon (une règle qu'elle avait imposée à toute la maisonnée afin d'éviter à la jeune aveugle de se demander à qui elle s'adressait). Mais la demoiselle ne s'y trouvait pas. C'est dans la chambre qu'elle la découvrit, marchant fiévreusement et se tordant les mains. « Que se passe-t-il, miss?

— Comment est-elle? »

Ce disant, elle désigna la robe accrochée à un cintre de la porte de la penderie. « Col chinois translucide, manches courtes légèrement bouffantes, vaporeuse à volants à partir de la taille, du même bleu que vos yeux.

— Et la longueur?

— Je dirais... Juste au-dessus du genoux. » La petite se remit à faire les cents pas. Une manie qu'elle partageait avec son frère, songea Anna avec amusement, presque de l'attendrissement. « S'il vous plaît, miss, dites-moi. »

Elle se laissa tomber sur le bord de son lit en croisant les bras sur sa robe de nuit. Elle hésita mais finit par murmurer: « Ça fait des mois que je ne suis plus sortie en robe.

— C'est donc pour demain que vous vous inquiétez.

— Oui, bien sûr. Mais... Je ne peux pas reparaître après presque un an habillée ainsi, ponctua-t-elle en désignant la direction de la robe. Avec ça, ajouta-t-elle en montrant ses jambes. Je fais partie de l'aristocratie tout de même! »

Anna cligna bêtement. « Je ne comprends pas, avoua-t-elle.

— Mes jambes, miss Belle. Je dois avoir l'air d'une ourse! Ou à Pandora, tiens! »

La béguine se mordit la lèvre pour ne pas rire. Elle prit une seconde à ravaler son éclat avant de s'approcher. « D'abord, Pandora est une très jolie jument à laquelle je serai fière de ressembler dans une autre vie. Ensuite, vous n'avez pas encore les hormones d'une ourse, miss: vous venez d'avoir seize ans et êtes de fine constitution. Enfin, vous pouvez facilement remédier à cela. Vous a-t-on appris?

— Ma copine Shayna m'a montré... Je le faisais. Mais ça me fiche la trouille de ne pas voir les lames, marmonna-t-elle.

— Nous allons donc envisager d'autres options, déclara-t-elle d'une façon rassurante. Rien n'est insoluble. Êtes-vous prête à tester l'épilation?

— Oui, mais je n'ai pas ce qu'il faut.

— Pas d'inquiétude, j'ai.

— Vraiment?! Vous vous épilez?!

— Pourquoi cet air ébaubi?! s'amusa Anna. J'ai passé ma vie entourée de femmes. J'ai eu des dizaines de grandes sœurs qui m'ont appris un millier de choses.

— C'est là qu'on voit l'utilité d'une figure maternelle, marmotta-t-elle encore. »

Mue par une impulsion affectueuse, Annabelle replaça doucement une mèche derrière son oreille. « C'est un manque irréparable, c'est vrai. Ne sous-estimez pas pour autant la richesse d'un individu de votre sang.

— Pardon, je ne voulais pas vous peiner.

— Il n'y a pas de mal. J'ai été enrichie de bien d'autres façons. »

Annabelle Toussaint [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant