Chapitre vingt-deux

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« Je m'inquiète pour miss Belle.

— Pour quelle raison?

— Elle me semble terriblement fatiguée. Ne t'a-t-elle pas donné cette impression?

— Je ne saurais dire. Je la vois très peu, Kat.

— Quand même..., insista l'adolescente dans un petit air renfrogné. Elle, toujours si active, avait du mal à parcourir la pièce sans s'essouffler cet après-midi.

— Elle aura l'occasion de se reposer de retour chez elle, répliqua-t-il sèchement pour clôturer le sujet. »

Parler d'elle ne l'aidait pas à endiguer les violents désirs qui l'assaillaient, et rien que l'idée des prochains adieux le mettait en rage.

« C'est dans des semaines, Rudy! » protesta véhément la jeune fille. 

Surpris par l'impétuosité de sa petite sœur, il s'adoucit: « Que voudrais-tu que j'y fasse?

— Envoie-lui ton médecin, s'il-te-plaît. »

Il dévisagea le joli visage contracté d'une profonde inquiétude. Il inspira par le nez et capitula. « Bien. Je vais le prévenir.

— Merci! s'apaisa Katherine en lui prenant la main avec affection. Je ne te demande pas plus. »

Pas plus... Rien de plus. Encore une demande dérisoire qui le laissait insatisfait.

Dès qu'il quitta la salle à manger, il contacta son médecin. En attendant que son correspondant décroche, il devait s'avouer que ses mains moites témoignaient que l'alarmisme de sa sœur l'avait touché et gagné malgré lui. Malheureusement, son médecin personnel était à une convention médicale. Il dû se rabattre sur le praticien local, débordé, qui promit de passer dans les jours à venir.

Rudyard reposa le combiné. Son regard erra sur la pièce sans la voir. Ses doigts tapotaient nerveusement le bord du bureau. La boule qui se constituait dans son torse ne trouvait aucun exutoire. Il ne pouvait néanmoins rien faire de plus. Aller lui-même constater si l'angoisse de sa sœur était justifiée n'aiderait personne. Surtout pas lui! Non, il ne devait pas la voir, au risque de... De quoi au juste?

Il se leva d'un bond pour repousser cette question dérangeante. Et il partit se coucher, décidé à ne plus penser à cette situation à laquelle il ne pouvait rien ajouter.

Finalement, que pourrait changer la décision d'un seul homme? Cela ne faisait qu'un grain de sable.

Un simple grain de sable de moins, dans des rouages qui auraient pu se gripper bien plus tôt.


Deux jours de plus qui auraient pu être deux jours de moins. A moins que ce ne soit deux jours de moins qui auraient pu être de plus. Tout est affaire de perspective.

Du point de vue de Sa Grâce le Duc de Northumberland, pour exemple, après une première longue nuit sans sommeil, la seconde, bien plus reposante, le mit dans de bonnes dispositions pour commencer sa journée. Il n'aperçut que vaguement les froissements de jupes d'Annabelle, à la fois rassurant sur sa présence, et confortant sa nécessité de distanciation. Son repas du matin était aussi succulent qu'escompté, et le thé parfaitement préparé par la main experte de Mrs Hodgson. Les petits plaisirs quotidiens dont on ne prend le goût qu'après en avoir perdu et recouvré la saveur.

Il passa un agréable jour, productif sans être éreintant. Dont le sommet se figura par le succès de l'OPA hostile qu'il avait engagée contre le père de la petite démente ayant osé s'en prendre à Kathy et Anna. Une victoire qu'il savourait encore intensément sur le long chemin de retour depuis Londres, se remémorant bout à bout, les menaces de poursuites de Sir Stevens pour la soi-disant agression sur sa fille, le dos laiteux lacéré et bleui d'Annabelle, puis l'expression anéantie de l'homme en première page du site du journal boursier. Une vengeance que lui seul pouvait apprécier à sa juste valeur, et qu'il prenait donc soin de déguster pour trois.

Annabelle Toussaint [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant