FIGLIO
(fils)
Il émerge une nouvelle fois aux sons des bruits qui s'échappent de l'appareil à côté de lui. Ses yeux translucides mettent plusieurs minutes à s'accommoder à la lumière blanche qui l'agresse. Il croise la silhouette d'un homme, assis sur une chaise, les jambes croisées, au fond de la pièce. Il fume un cigare et ses yeux fixent Anir avec paroxysme.- Qu'est-ce que tu fais là ? grogne Anir.
Le libyen se redresse sur le lit avec difficulté, les menottes bloquent toujours ses mains, sans lâcher du regard le parrain. Il est habillé de son habituel costume, d'homme d'affaires, propre, comme si cela pouvait suffire à cacher tout le sang qui souille ses mains. Anir pourrait le fusiller sur place d'un seul regard, il n'a que de la rancune pour celui qu'il considère comme son père.
- Je pourrais te faire tuer pour ce regard, figlio.
Sa voix rocailleuse résonne dans la pièce, ils continuent de se fixer et un petit sourire amusé finit par étirer leurs lèvres, Gio est toujours le même.
- J'avais des choses à faire, déclare le chef. Ça a pris plus de temps que prévu.
Le mafieux comprend que Gio est à l'origine de cet incendie et de la mort du juge d'Anir, cette hypothèse est confirmée quand le vieux dit :
- Il était pitoyable.
Anir est surpris mais il ne le montre point. Le parrain n'a envoyé personne pour effectuer la tâche, il l'a fait lui-même, preuve de l'importance qu'il accorde au libyen. Il tire une taffe de son cigare, confortablement installé sur le siège rugueux du parloir, Gio n'a pas peur de Palerme. Il y est même à l'aise. Ses yeux chocolats inspectent le visage marqué du mafieux face à lui, il grimace légèrement face aux nombreux points de suture qui ornent sa paupière et il demande d'une voix rauque soulevant toute la colère qui le saisit :
- Qui t'as laissé presque mort, c'est eux ?
- Je vais régler ça, dit simplement le mafieux.
Il a déjà tout planifié dans sa tête, il ne reste plus qu'à laisser son corps le guider pour mener sa douce vengeance.
- Ça fait trois jours que t'es ici, deux gardiens t'ont porté, ils ont cru que t'étais mort.
- Comment...
- Qu'est-ce que tu crois ? Tu ne parles pas à n'importe qui, gamin. Je rentre en prison si je le veux et j'en fais sortir qui je le souhaite.
Anir n'a pas retenu l'appellation que le parrain emploie quand il pose une question futile. Il a juste retenu le fait que Gio va le faire sortir de ce trou, il faut qu'il soit patient. Le vieux sait ce qu'il fait, après tout il est à la tête de la mafia depuis trente ans, et Cosa Nostra s'en est toujours tirée.
- Ils cherchent mon père.
- Ils n'ont qu'à venir me chercher, il réplique.
Le vieux a parfaitement compris, il le fait exprès. Anir continue :
- Mio padre biologico...
Ces mots brûlent la gorge du libyen, il lui arrachent l'œsophage et des sentiments enfouis au fond de son cœur glacial remontent à la surface comme pour mieux le tuer.
- Pas maintenant, plus tard, siffle Gio comme seule réponse.
Il se lève et referme le bouton de sa veste de costume. Sans un mot, il s'approche du libyen et dépose un paquet de cigarette sur le matelas, puis un briquet. Anir le remercie d'un regard, ils n'ont pas besoin de plus pour se comprendre depuis toutes ces années.
- Je sais qui c'est, lâche le libyen.
Le parrain arrête son geste. Il lâche la poignée de la porte et se tourne vers le jeune homme. Ses sourcils se froncent dans un air grave et il fait signe au libyen de continuer.
- Je vais le buter, j'te le jure.
- T'as besoin de quoi ?
- Mon beretta.
Le parrain hoche la tête.
- Ce n'est qu'une question de temps. Les deux gardiens, qui t'ont porté ici, sont nos hommes. Tiens toi prêt.
- Personne ne doit être au courant, tu comprends, excepté la famiglia et Alejandro. Je suis mort aux yeux des autres...
Le parrain acquiesce une nouvelle fois et Anir sait qu'il peut lui faire confiance. Il lui confierai même son âme sans aucun regret. Une dernière chose le tiraille, il questionne :
- Tu peux me passer de la coco ?
Les yeux du parrain s'ancrent dans ceux du libyen. C'est contre la règle que le vieux a toujours imposé depuis le début à Juliano, Marco et le libyen. Ils vendent la drogue, c'est tout, ils ne doivent pas en consommer. Il faut rester clean. Seul la clope et l'alcool peuvent déroger à cette règle.
- Rosalinda m'a dit pour l'opium, déclare-t-il.
- Ça m'aide à dormir.
Anir baisse les yeux. Il a si honte. Gio n'était pas censé savoir, personne ne l'était mais depuis qu le libyen se trouve dans cette prison, il ne parvient plus à dormir.
- Alors, opium ou cocaïne ? demande simplement le parrain
- Cocaïne.
Le parrain hoche la tête, il fera ce qu'il faut pour son fils. Il disparaît par la porte de l'infirmerie, laissant Anir seul avec ses pensées. Quand Gio apprendra toute la vérité, ça sera la guerre, la vraie. Il n'y a aucun doute là-dessus.
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ᴀɴɪʀ ✓
ActionAnir porte le prénom d'un ange, il ne dira pas un mot. Il suffira d'un regard envoûtant pour que l'ange déchu sème le chaos. Il n'a plus de cœur, il prendra le tien pour exister. La mafia italienne tremble sous son regard polaire. Il ne craint perso...