CHAPITRE 4 - nessun corpo

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NESSUN CORPO

(pas de corps)

POINT DE VUE OMNISCIENT

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POINT DE VUE OMNISCIENT

Anir pourrait tendre la main, effleurer la douce peau de son visage, essuyer les quelques larmes qui sillonnent ses joues rosées, laissant derrière elles de longues traînées noires de mascara. Elle se tient, malheureusement, de l'autre côté de la baie vitrée à la fois si proche et si éloignée du libyen. Rosalinda parait fatiguée comme si elle n'avait rien dormi depuis plusieurs nuits.

Avant, il lui aurait fait comprendre que pleurer est un signe de faiblesse, et qu'elle ne doit laisser personne voir ses larmes apparentes, même pas à celui avec qui elle partage sa vie. Elle fuit son regard, elle excelle dans l'art de taire sa souffrance, il n'y a pas un seul sanglot qui raisonne au travers du combiné.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? demande Anir. Tu es venue toute seule ?

- Lorenzo m'attend dehors, elle répond d'une voix fébrile.

Rosalinda se mord la lèvre inferieure comme pour se contenir de pleurer. Elle est troublée, Anir le voit et il finit par comprendre la raison quand elle souffle :

- Ça fait six ans...

Elle fuit son regard et les larmes finissent par dévaler sa peau halée, la brune pleure silencieusement comme elle le fait si bien depuis la mort de Thilelli. Elle excelle dans l'art de taire sa souffrance.

- Thilelli et Marco sont au cimetière et lui... je ne sais pas où il est... comment on peut faire un deuil sans corps ?

Anir ne connaît pas la réponse, il n'a jamais fait le deuil de quiconque. Son cœur s'est gelé au fur et à mesure des années, il n'est désormais qu'une pierre incassable, ne laissant rien le traverser, pas même la mort de Marco, de Thilelli ou de sa mère.

- C'était mon père et on dirait qu'il n'a jamais existé. Tu sais où se trouve le corps, pas vrai ?

Anir acquiesce, il sait où est la dépouille du frère de Giovanni. Mais il ne dira rien, ce secret n'est gardé que par Anir et le parrain lui-même. Il se souvient encore d'avoir enterré le corps dans une forêt sombre, en plein milieu d'une nuit d'hiver. Il avait creusé un trou béant dans le sol avec une pelle, sous le regard intrusif de Gio.

- Personne n'en parle comme si on avait honte, on dirait que cette histoire est enterrée à tout jamais.

- C'est le cas, tesoro. Tu devrais en faire autant, crache Anir.

Elle lui lance un regard foudroyant, son visage est marqué par la colère. Ses sourcils sont froncés et son expression habituellement si douce a disparu sous le poids de ses souvenirs néfastes qui surgissent de son adolescence.

- Ce n'est pas parce que tu n'as jamais eu de figure paternelle dans ta vie que tu dois m'enlever la mienne, elle déclare d'une voix venimeuse.

- On n'enterre pas les traditore...

- C'est faux ! Tu sais aussi bien que moi, qu'il n'en était pas un.

Anir était présent avant son dernier souffle, il n'a rien dit pour se défendre. Un condamné l'aurait fait, pour se donner une dernière chance de s'en tirer, pour faire douter le tireur. Le libyen est exaspéré en voyant que ce débat fait son retour une nouvelle fois, il passe sa main sur son visage et soupire doucement :

- Je suis fatigué, Rosa.

Elle relève la tête vers lui, c'est la première fois qu'il avoue de tels propos, qu'il montre une telle lassitude envers les choses, envers elle.

- Anir...

- Qu'est-ce que tu veux que je fasse, clouer entre quatre murs ? il ironise dans le combiné.

Rosalinda renifle péniblement, elle murmure :

- Tout ceci est ma faute.

Il se redresse sur sa chaise malgré que son dos le lacère, un pli barre désormais son front, sa voix se radoucit quand il déclare :

- C'est arrivé une fois, tesoro. C'était lui ou moi.

- Pourquoi ça ne te fait rien, à toi ?

Il déglutit. Si seulement elle savait que ses cauchemars sont ses pires ennemis et qu'il voit leur visage toutes les nuits, qu'il ressent parfois le goût métallique du sang dans sa gorge, en se réveillant encore tremblant du monde des songes.

- Regarde-moi.

Elle relève la tête vers lui, son regard chocolat s'ancre dans le sien et il détache chaque mot pour être sûr qu'elle assimile tout le poids de ses paroles :

- C'était de la légitime défense, alors si tu vas en Enfers pour ça, tu peux être sûr que je finis dans le néant.

Elle acquiesce lentement et elle ravale ses larmes, ses yeux sont encore larmoyants quand elle murmure :

- Tu devrais prier...

Anir hoche la tête sans grande conviction. Elle s'excuse ensuite et dit qu'elle ne reviendra pas comme promis, il ne veut pas qu'elle se fasse descendre d'une balle dans la tête dans cette ville. Elle raccroche le combiné et quitte le parloir, sans un mot, laissant le libyen seul avec ses pensées.

Les gardiens l'escortent jusqu'à sa cellule, Anir a la nausée. Ses mains tremblottent sous l'effet de ses pensées sournoises, il ne parvient pas à les arrêter.

- Ça va le mafieux ? demande son voisin.

Anir s'allonge sur son lit sans rien dire, encore troublé parce qu'il vient de se passer. Six années sont passées et les souvenirs restent, c'est comme un coup de marteau dans la figure qu'il vient de se prendre.

- Il m'avait regardé dans les yeux, sans aucune supplication, il m'encourageait même à le faire. Je devais le faire pour devenir un mafieux, avoue Anir.

Un silence s'installe, aucun d'eux ne parle. Le voisin de cellule du libyen tire une clope, il l'allume et expire un nuage de fumée avant de la tendre vers Anir, allongée sur la couchette inférieure.

- Tu l'as fait ? il demande.

Anir inspire une taffe qui lui brule les entrailles. La cigarette coincée entre ses doigt tremblotte elle aussi. Ses yeux se posent sur le livre religieux posé sur la table basse et il comprend enfin, tu devrais prier.

Le cœur submergé, il ne répond rien pendant quelques instants, le temps, de reprendre le dessus sur ses émotions. Lentement il hoche la tête et acquiesce :

- J'ai tué son père.

- J'ai tué son père

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ᴀɴɪʀ ✓Où les histoires vivent. Découvrez maintenant