COSCIENZA
(conscience)
POINT DE VUE OMNISCIENT
Les images sanglantes ne quittent pas son esprit, Anir voit tous ces visages qui lui parlent. Leurs yeux sont vides, ils n'ont plus d'orbite et le libyen se perd dans la noirceur de leur regard. Des frères, des fils, des pères, des cousins. Ils implorent Anir de les rejoindre dans les abysses des Enfers.
Ils l'appellent toujours.
Les cauchemars sont là pour qu'il n'oublie pas, qu'il n'efface pas ce qu'il est. Ses rêves sont remplis de cadavres mutilés. Des dizaines de visages, des regards suppliants, des gorges tranchées, des corps battus ou démembrés, des cerveaux explosés par balle. Toutes les nuits, leurs cris raisonnent et quand les morts finissent par se taire, la mélodie paralysante du silence raisonne sans fin.
Le visage d'un homme, en particulier, revient sans cesse. Il est net et précis, Anir se souvient de chacun de ses traits, son piercing au dessus de son sourcil droit, son nez crochu et son crâne chauve luisant à la lumière du jour. Cela remonte à six longues années, Anir venait de souffler ses quinze ans et il a du tuer cet homme sous le regard cruel de Lorenzo de Luca.
La gorge sèche, les membres tremblants, le corps humide, Anir se réveille. Les jambes vacillantes, il parvient à sortir du lit. Sa respiration est saccadée et le mafieux réussit à la récupérer doucement. Il n'est que trois heures du matin quand il gagne la salle de bain. Son reflet dans le miroir l'effraie.
Les images affluent dans son cerveau et lui rappellent inlassablement ce qu'il a fait. Il se revoie en train de tuer ces gens, avec un sourire affiché sur son visage angélique. Le libyen voit toute cette hémoglobine, tout ce sang de couleur rouge. Il y en a partout. Ses mains tremblent et Anir se passe de l'eau sur le visage. Il finit par se laisser tomber contre la paroi de la douche. La tête dans ses bras, il ne compte même plus les tremblements de son corps.
- Encore tes cauchemars ?
N'osant pas relever les yeux, le mafieux se contente de garder son regard rivé sur les carreaux en damier de la salle de bain. Son parfum vanillé lui chatouille le nez quand elle s'assoit près de lui.
- Raconte moi, elle demande.
Anir secoue la tête. Il tente de chasser les mauvais songes de ses pensées. Le regard inerte de sa mère est posé sur lui, la vue floutée de sa mort ne quitte pas sa tête. Le jugement de son regard pèse sur les épaules d'Anir.
- Ça m'arrive de prier, quand j'accompagne quelques fois mamma, à l'église, dit-elle. Je ne prie pas pour Marco, ni pour Juliano, ni même pour mon père. Je prie pour toi.
Le libyen relève la tête pour croiser ses yeux humides. Sa voix grave raisonne :
- Pourquoi ?
- J'ai peur que tu partes.
Des sentiments. Il grince des dents et Anir ne peut s'empêcher de lâcher un petit rire nerveux devant l'ironie de la situation. Un rictus étire ses lèvres tandis que la brune le fixe interloquée.
- Juliano n'est pas mort pourtant, alors pourquoi tu ne pries pas pour lui ? Ironise Anir.
- Il ne finira pas en Enfers, lui.
Il perd son sourire et son corps se tend. Sa main se crispe dans celle de la brune et il fixe, incrédule, Rosalinda dans les yeux tandis qu'elle continue :
- Je prie pour que Dieu te pardonne de l'avoir abandonné.
L'effarement le saisit un court instant. Il reprend rapidement ses esprits et Anir se lève brusquement, il chasse la main de la brune. Il passe ses doigts dans cheveux noirs. Sa main s'arrête sur sa nuque, il frôle de l'index son tatouage encré au niveau des premières cervicales ; un croissant de lune et une étoile.
- Ton dio ne l'a pas sauvée, le mien non plus, assène Anir.
Elle encaisse le coup de ses paroles crues en silence, ses yeux s'humidifient dans la pénombre de la pièce et des sanglots étouffés lui échappent. Anir se tient debout, devant elle, les bras ballants et le cœur rongé par la haine. Un éclat de colère luit dans son regard polaire et Rosalinda se demande comment elle peut avoir des sentiments pour cet homme alors que lui n'en témoigne aucun à son égard.
- C'était un accident, elle gémit.
Anir continue de la fixer, il peut voir toute la naïveté sur son visage et toute l'innocence qui coule dans ses veines. Difficile pour lui d'imaginer qu'elle appartient à la plus grande famiglia de leur organisation et que son père était le frère de Giovanni. Anir continue de la fixer en se demandant pourquoi sa famiglia protège encore Rosalinda en la mettant à l'écart de leur activité. Il se demande si la vérité ne la protégerait pas plus que ce tissus de mensonges qui l'entoure. Au lieu de ça, elle continue de se voiler la face.
- C'est ce qu'on a voulu te faire croire, tesoro, souffle-t-il.
- Tu veux dire que...
Sa phrase se suspend dans le vide et Anir affirme d'un signe de tête. Elle se relève, la mâchoire décollée, pour être à la hauteur du mafieux. Ses doigts frôlent la cicatrice qui marque sa peau basanée et Anir tressaille sous son contact brûlant.
- Tu m'as menti, elle dit d'une voix faible.
- Thilelli n'est pas tombée toute seule, avoue Anir.
- Toute seule ? répète Rosalinda, ébahie.
Anir se pince l'intérieur de la joue. Des souvenirs néfastes reviennent, les lèvres bleutées de la petite fille ne quittent pas ses pensées. Il se revoie en train d'essayer de la réanimer et d'expulser toute l'eau de ses poumons.
- Quelqu'un l'a poussée volontairement, il déclare impassible.
- Ma petite fille...
Sa voix craque et les larmes inondent ses joues. Anir essaye de la retenir mais elle a déjà quitté la salle de bain, le laissant seul dans la pièce. Le mafieux soupire, la lune brille encore dans le ciel noir et il sait qu'il ne parviendra pas à se rendormir. Dieu est un ennemi puissant qu'il n'a jamais réussi à terrasser, il le pourchasse une fois la nuit tombée. Maudite conscience.
Anir a aussi sa part d'ombre et il est seul face à elle quand la lumière tombe.
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ᴀɴɪʀ ✓
ActionAnir porte le prénom d'un ange, il ne dira pas un mot. Il suffira d'un regard envoûtant pour que l'ange déchu sème le chaos. Il n'a plus de cœur, il prendra le tien pour exister. La mafia italienne tremble sous son regard polaire. Il ne craint perso...