𝟏𝟖 - 𝐑𝐞́𝐯𝐞𝐢𝐥𝐬 𝐢𝐧𝐞́𝐝𝐢𝐭𝐬.

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𝐄𝐥𝐥𝐲.

Tête cotonneuse, muscles noués et yeux fermés, mes jambes s'étirent d'aise en toute autonomie. Je me retiens de grogner, frustrée d'avoir quitté en avance les bras de Morphée alors que mon réveil n'a pas encore sonné.

Mes idées se mettent doucement en place, me permettant de profiter un peu plus de cet état de semi-conscience. Le brouillard dissipé, je me souviens soudain où je suis censée être : sur un confortable fauteuil de la bibliothèque, à l'étage inférieur. Un long courant dévale mon échine pour migrer vers mon bas-ventre, suivi d'un délicieux crépitement plaisant qui déploie ses ailes au-dessus de mon intimité.

Il fait vraiment chaud, sous ce drap.

Je commande à ma main droite de faire pénétrer un peu d'air frais, mais mes doigts ne réagissent pas aux stimuli de mon cerveau. Sur le dos, je comprends d'abord d'où provient cette canicule inhabituelle qui irradie tout près de moi. Puis, plus surprise encore, je réalise avant que mes yeux ne se soient accommodés à la semi-pénombre qu'une large paume, douce et chaude, emprisonne la mienne. Mes doigts, rigides et engourdis, sont entrelacés à ceux d'une main virile à souhait.

Tu tiens la main de ton boss, Elly.

Qui d'autre ?

Nous sommes dans le même lit.
Il a passé la nuit avec moi.
Encore.

Je cherche une explication à cette délicate situation, le constat est sans appel, accablant : je n'ai toujours pas retiré ma main de la sienne. Nos moiteurs mélangées nous lient comme une glue indissoluble.

Je voudrais que la sensation de sa peau contre la mienne ne me fasse rien. J'aimerais une répulsion par automatisme. Mais ce n'est pas le cas. Loin d'être effrayée, je me sens étrangement apaisée tandis qu'une houle de bien-être se diffuse via mon système nerveux. Liam Kavanagh me fait de l'effet même quand il dort.

Qu'est-ce que je dois faire ?

Ma raison me conseille de fuir sans me retourner ni réfléchir. De m'éloigner pour me soigner. Pour ne pas me brûler. Trop tard : je crois déjà sentir mon épiderme cloquer par endroits.

« Et si la vérité n'était pas celle que tu crois ? »

Je détaille le pourtour de sa mâchoire carrée, son nez droit, ses sourcils châtains, ses longs cils courbés, sa main libre négligemment posée au-dessus de sa tête. Puis ses larges épaules, nues, la peau souple de ses pectoraux, le tracé net de ses abdominaux, la fine ligne de poils sous son nombril qui s'évade sous le drap. Ma main toujours prisonnière en perdition.

Une partie de moi souffle que je devrais affronter ce qu'il y a sous mes yeux. Que tout le monde peut changer, que « les choses ne sont pas toujours telles que l'on croit ». Que « la vérité n'est pas nécessairement l'évidence ». Mais c'est encore prendre le risque de tomber de – très – haut, d'être utilisée et trahie pour un jeu dont je ne connais ni les règles ni le but. Je ne peux plus l'accepter. Je me répète que je ne dois pas voir que le noir mais chercher les nuances de gris, car c'est ce que nous sommes : un nuancier d'émotions et de contradictions.

Alors, à l'instar d'Icare malgré les avertissements de Dédale, je m'approche de l'astre luisant. Je me retourne doucement sur mon flanc, ma main disponible s'approche du corps musculeux qui m'a tenu compagnie cette nuit. Encore. Je survole la silhouette masculine immobile, parcours son buste sans le toucher mais aspire un peu de sa chaleur, qui s'infiltre jusqu'à ma poitrine, et plus bas. Encore. Je le frôle à peine alors qu'il me percute par sa présence. Je ne veux y voir aucun symbolisme, pourtant...

Quand je réalise que mon cœur bat antithétique à la lenteur de mes gestes et que le danger s'est incrusté en moi, il est trop tard : mes doigts sont déjà sur sa joue râpeuse qui en picore la pulpe. Je viens de me brûler, et je crois que j'ai aimé.

Je l'observe. Je nous regarde.

Qui es-tu vraiment, Liam Kavanagh ? Le plus sournois des démons, ou le plus cabossé des anges ?

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𝐋𝐢𝐚𝐦.

Un silence de monastère s'impose quand j'entre dans la salle de conférence 2. Sans précipitation pour ne pas accentuer le sentiment de honte qui m'enlace déjà, je rejoins mon siège vide. Une petite partie de l'assemblée – les plus téméraires – ose suivre des yeux mon cheminement à travers la pièce. J'entends leurs remarques silencieuses et moqueuses en acceptant l'ironie de la situation. Habitué à servir un discours moralisateur-accusateur à chaque retard de mes collaborateurs en réunion, je me vois dans l'obligation de revoir ma copie ce matin, et d'ignorer les quelques rictus narquois que je distingue.

Je salue d'abord ma mère et Neve d'un signe de tête respectueux, puis, les paumes à plat sur la table, j'observe d'un coup d'œil circulaire les autres membres présents – et ponctuels.

— Bonjour à toutes et tous. Je vous prie d'excuser mon retard. Je ne vais pas m'inventer de fausses excuses pour justifier mon arrivée presque... une heure après le début prévu de cette réunion importante, fais-je penaud en consultant ma montre. La vérité est que sans la technologie à mon service ce matin, j'ai été incapable de me réveiller à l'heure. Contrairement aux bruits qui courent à mon sujet, je découvre quasiment en même temps que vous que je ne suis pas un robot mais bel et bien un être humain.

Quelques rires fusent, des sourires s'esquissent, certains contenus par une timidité justifiée. Installé à ma gauche, Ethan vide sa bouteille d'eau pour ne pas se laisser gagner par un fou-rire malvenu. Mon bras droit doit se demander si je ne suis pas drogué, je le connais suffisamment pour anticiper ses pensées. Je ne vais pas couper à ses vannes pendant des semaines. Brad et Mason vont s'en donner à coeur joie.

Lyanor, elle, a parfaitement saisi le message subliminal de mes paroles. La tête haute, un petit rictus de satisfaction ourle sa bouche maquillée d'un rose mat. Ses lèvres sont devenues une tentation obsédante que je m'astreins à ranger dans un coin de ma tête. Pour le moment. Discrète, elle ne me regarde pas mais elle jubile de son méfait, fière de la posture dans laquelle elle m'a sciemment mise. Elle avait pour projet de me faire descendre de mon piédestal ? Mission accomplie, et pas si impossible que présagée.

Dans les yeux de certains de mes collaborateurs brille une lueur d'amusement à me voir me répandre en excuses, moi. Ils doivent exulter d'assister à un moment plus rare qu'une éclipse couplée à un alignement des planètes, en plus de se féliciter d'être arrivés à l'heure. D'autres restent inflexibles face à un patron qui, d'ordinaire, ne les laisse pas ouvrir la bouche s'ils ne respectent pas les horaires. Je mettrais une main à couper que leur impassibilité ainsi affichée n'est que la preuve d'une concentration sans faille tandis qu'ils se repassent le film de mes innombrables remontrances.

— Encore une fois, veuillez me pardonner ce retard inopportun. Afin que cela ne se reproduise plus, je vous promets d'avoir une discussion sérieuse avec mon réveil plaisantin qui a voulu me jouer un sale tour ce matin. Il entendait me faire chuter de mon piédestal, cité-je Lyanor qui s'empourpre légèrement, c'est chose faite. Je ne suis pas moins humain que vous ni moins infaillible. Sur ce, reprenons.

J'espère que le message a bien été réceptionné par celle à qui il est destiné : je suis capable de m'excuser.

Aaron se lève pour me remettre quelques documents et notes qu'il a prises en mon absence. Jusqu'à la fin de cette interminable réunion, je tente de ne plus bloquer sur celle qui a filé à l'anglaise sans me réveiller, alors qu'elle n'a pas pu occulter ma présence dans son lit.

Pas de cris aujourd'hui. À quand le prochain pas ?

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Devious BOSS | Œuvre intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant