𝟏𝟖 - 𝐓𝐨𝐫𝐭𝐮𝐫𝐞́𝐞 𝐩𝐚𝐫 𝐥𝐞𝐬 𝐬𝐞𝐧𝐬

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𝐄𝐥𝐥𝐲. 

Irrespirable.
Je ne vois pas d'autre mot pour décrire l'air dans l'habitacle de ce SUV de luxe. Pourtant, l'odeur est enivrante ; masculine. Entre le boisé et l'ambré, agrémentées de notes d'agrumes vivifiantes. Elle s'est incrustée en moi jour après jour, heure après heure. Minute après minute. Infusée profondément dans ma mémoire olfactive.

À chaque inspiration, j'ai la sensation que je manque un peu plus d'oxygène, comme si mes poumons perdaient leur capacité à jouer leur rôle premier. C'est indécent. Je sens mais je ne respire plus. Je le sens, lui. Des picotements me traversent de part en part, mon corps insensé n'est plus qu'une autoroute de désir. Mon ventre se tord, mes poumons emprisonnent sa fragrance capiteuse, refusant d'expirer, quitte à me laisser suffoquer. Je suis prise dans un feu ardent, assaillie par les flammes. Un brasier dément allumé par un homme aussi glacial qu'un litre d'azote liquide, entretenu par un corps qui refuse d'entendre la voix de la raison. Ma voix hurlant que tout ceci est ridicule, que la beauté de cet homme n'est qu'une chimère, une sirène pour attirer de pauvres marins qui ne trouveront que laideur, douleur et désolation.

Liam Kavanagh est d'une dualité sans nom : Lucifer caché sous les traits d'un ange déchu.

Et moi, qui suis-je ? Celle qui s'est jetée dans l'arène sans avoir lu les règles du combat. J'ai cru à l'adage « le hasard fait bien les choses », mais il semblerait que je sois l'exception qui confirme la règle. J'ai cru que je serai capable de tout recommencer, loin de mon passé. Naïve que je suis.

Je me suis crue de taille à affronter New York, ses codes et les mille et une ombres qui n'attendent que de me voir flancher pour me broyer. Dans cette nouvelle vie, j'avais décidé d'être une nouvelle moi. Décidé de me chercher, de me trouver, de me rencontrer. En deux mois à peine, j'ai déjà aperçu une partie de ma personnalité qui était auparavant profondément enterrée sous le poids de la volonté familiale, de l'éducation conformiste d'une mère plus attachée à l'image du « qu'en dira-t-on ? » qu'au bien-être de sa propre fille. Je me suis découverte une combativité que je ne pensais pas posséder, une petite répartie qui n'avait jamais été que dans ma tête.

Encore maintenant, je sais qu'il m'observe, scrute ma réaction. Je me contente de l'ignorer, c'est ce que j'ai fait toute la journée. Je suis restée polie en présence de ses collaborateurs, impassible aux piques qu'il a continué de me lancer, à ses regards appuyés. J'encaisse les coups en comptant les heures qui me séparent de New York.

Ça va aller, Elly.

C'est aussi ce que me répète Ethan par messages, plusieurs fois par jour. Quand il me demande si tout se passe bien, que je m'entête à lui répondre « si vous prenez en charge mes frais d'avocat pendant le procès, je suis prête à vous en débarrasser gratuitement, dès maintenant ». Aucun trait d'humour ici. Ce type me donne autant envie de le tuer que de... enfin mieux vaut ne pas y penser. Encore moins maintenant.

Bref. Penser à autre chose.

— Est-ce trop vous demander que de sortir de votre rêverie ?

Son ton sec me tire de ma « rêverie ». « Est-ce trop vous demander que de vous montrer agréable, pour une fois ? » ai-je envie de répliquer. Mais inutile de gaspiller ma salive, je connais déjà la réponse. Je plaque alors un air serein sur mon visage et pivote vers lui pour lui signifier en silence qu'il a toute mon attention.

— Tenez, dit-il en me tendant un épais dossier, essayez de vous familiariser avec la fusion-acquisition de T-E. C'est l'ordre du jour de la réunion de demain.

Je suis encore capable de lire un agenda, je connais ce dossier sur le bout des doigts, mais je garde cette information pour moi.

— Et si vous pouviez faire un effort sur votre tenue pour une fois, siffle-t-il entre ses dents en tapant à toute vitesse sur le clavier tactile de son smartphone.

Devious BOSS | Œuvre intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant