𝟑𝟓 - 𝐌𝐞𝐧𝐬𝐨𝐧𝐠𝐞𝐬, 𝐣𝐞𝐮, 𝐯𝐞𝐫𝐢𝐭𝐞𝐬. 𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢𝐞 𝐈𝐈.

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Elly.

— Elly ? Est-ce que je peux entrer ? se renseigne une voix que je reconnais, derrière la porte.

— J-e... hésité-je. Juste une minute.

Je referme le pot de crème pour le corps avec laquelle j'enduisais machinalement ma peau depuis plusieurs minutes. À la hâte, j'enfile mes sous-vêtements propres, mon jean à la coupe boyfriend puis la chemise blanche trop grande pour moi, que je noue sous mon nombril. Je suppose que je n'ai plus le choix : je dois cesser de fuir mon reflet et m'y confronter franchement. Dans un énième soupir las qui ne me purge pas pour autant, je braque mon regard vers le miroir en remontant mes cheveux dans un chignon lâche. Je suis incapable de mieux.

— Je suis prête.

Faux. Mais sa présence cette nuit mérite que je prenne sur moi.

Madame Kavanagh ouvre la porte dans un geste lent, comme si cette prévenance pouvait s'avérer lénitive pour mon corps, mon cœur ou mon âme écorchés. J'aimerais qu'elle le soit, que son regard tendre suffise à estomper quelques-uns de mes maux.

Un sourire timide étire le coin de sa bouche tandis que la femme aux grands yeux clairs pénètre ma bulle éphémère.

— Est-ce que... cherche-t-elle ses mots. Enfin, vous vous sentez un peu mieux ?

Sa prudence m'émeut probablement plus qu'elle ne le devrait. Avec une douceur qui la caractérise bien, elle récupère mon bâtonnet d'anticerne inutilisé dans mes mains.

— Je peux ?

J'opine lentement, mon cœur réagit à sa proposition implicite.

La mère de Liam s'applique alors à déposer délicatement des touches de produit, avant de les étaler à l'aide d'un pinceau adapté, trouvé dans mon panier à maquillage. Je l'observe sans tenter de masquer l'admiration qu'elle m'inspire. Mon cerveau fatigué essaie d'imaginer ma vie si j'avais eu une génitrice présente, aimante et attentionnée à chaque étape de mon existence, peu importe les épreuves à traverser. Y compris celle-ci. Une mère qui serait encore debout à plus d'une heure du matin, après avoir veillé à l'hôpital pendant que je passais mes examens et que je subissais l'interrogatoire de la police. Une mère qui se tiendrait devant moi pour m'aider à camoufler les marques déjà rouges et violacées sur mon visage, sans me juger ni se moquer de ma lubie, alors que je vais aller me coucher, certainement tâcher les draps.

La douleur qui comprime ma poitrine n'est pas due à l'absence de ma mère. La vérité, c'est que mon âme d'enfant saigne parce qu'une femme que je connais à peine semble diposée à jouer un rôle qui n'est pas le sien. Alors que celle qui m'a mise au monde m'a tourné le dos il y a longtemps, bien avant mon départ.

Mon barrage interne se brise à cette pensée. Je ne contrôle plus rien. Ni mes membres tremblants, ni les larmes qui inondent mon visage, ni ma respiration spasmodique. D'abord hésitantes, les mains de Mme Kavanagh viennent entourer mes épaules dans une étreinte chargée de réconfort. Derrière le rideau de mes yeux en plein débordements, je balaie mes souvenirs à la recherche d'un radeau de survie : n'importe quelle image qui pourrait invalider mes pensées, ma solitude, mes conclusions. Cette terrible vérité que j'ai mis trop d'années à m'avouer. Accroupie, la femme avec qui ne je partage rien de plus qu'une haine féroce envers le clan Campbell dépose un tendre baiser sur ma joue.

Bon, peut-être que je partage un peu plus... Mais ce n'est pas le sujet.

Je déteste ma mère.

— Il semblerait qu'elle soit une femme détestable, en effet, confirme mon invitée.

J'ai parlé à voix haute.

Devious BOSS | Œuvre intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant