𝟐𝟗 - 𝐅𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐥𝐞𝐬 𝐜𝐨𝐦𝐩𝐭𝐞𝐬.

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𝐋𝐢𝐚𝐦.

Depuis notre enfance, Ethan et moi avons cumulé pas mal de surnoms à la con. Il faut dire que notre famille et nos amis n'ont jamais manqué d'imagination. Je suppose que c'est le lot de tous les duos, dans presque toutes les fratries. Nos quelques mois d'écart à peine ont largement contribué à ce petit jeu, et puisqu'on était toujours fourrés ensemble, nos camarades de primaire ont même fini par nous qualifier de faux jumeaux. L'un n'allait pas sans l'autre, quelle que soit la situation, même les doigts d'une main ne pouvaient être aussi soudés que nous.

Tic et Tac, Laurel et Hardy, Batman et Robin, Agent J et Agent K, je crois bien qu'on est passé par à peu près tous les duos connus de la littérature, du cinéma et de la comédie réunis. On a toujours tout fait ensemble, été complémentaires et rarement adversaires. Études, sorties, conneries, beuveries, nos souvenirs communs sont d'autant plus de preuves de ce lien inaltérable qui nous unit. Nos disputes terminent en éclats de rire, les fois où nous avons abîmé nos poings pour arbitrer nos conflits se comptent sur les doigt d'un unau¹. Mais ces dernières années, les surnoms ont évolué. Un peu comme nous, en somme. Sauf qu'ils ne nous reflètent plus vraiment, ou simplement de l'extérieur. Peut-être parce que dans un binôme, il faut un bon flic et un mauvais, un gentil et un enfoiré. Ethan est pointé du doigt tel un ange quand je passe pour le démon. Aujourd'hui, on parle de nous comme de Gabriel et Lucifer, ou encore le Yin et le Yang.

Inutile de préciser qui porte l'auréole et qui se coltine la fourche.

En revanche, aucun de nous n'est un concept du taoïsme. Ils ne représentent ni le bien ni le mal, contrairement à ce que pense l'inculture populaire. Le Yin n'est pas un chevalier noir combattant contre le Yang, chevalier blanc. Ils sont complémentaires, interdépendants, opposés dans quelques notions, mais certainement pas antonymes ni adversaires.

Ethan et moi ne sommes rien de plus que deux acharnés de boulot qui font ce qu'il faut pour porter KMC plus haut. On se bat pour des idéaux, des valeurs, rendre le monde un peu meilleur, la technologie accessible, les transports plus sûrs, l'audiovisuel divertissant et éducatif, un peu moins aliénant. On se sert du passé pour avancer, créer demain, façonner le futur. Pas uniquement pour nous par excès de vanité, juste pour le monde, dehors. On dit de moi que je suis intransigeant, implacable, imbuvable, impatient, impulsif, inaccessible, incapable de sourire ; de remercier. Seulement bon à exiger, diriger, condamner.

Je ne suis pas que ça. Je fais ma part, Ethan la sienne. Il a ses méthodes et j'ai les miennes. Moi, au moins, je n'ai pas fait parler de ma gueule pour avoir eu plus d'assistantes en cinq ans qu'il y a de semaines dans une année. J'ai engagé Aaron lorsque Daria a choisi de changer de vie. Elle a troqué New York contre un coin paumé du Montana, ses tailleurs-escarpins contre des salopettes-bottes, l'air pollué contre l'oxygène pur, l'agitation contre le calme.

Chacun sa came.

Je n'ai jamais eu à me plaindre de mon assistant. Je crois même que, d'une certaine manière, on était faits pour se rencontrer. Avec lui, aucun risque de dérapage, de propos tendancieux ni de quiproquos gênants. Aaron ne se pointera jamais à moitié à poil pour attirer mes faveurs, ne me lancera pas de regards en coin aguicheurs, ne fera pas exprès de faire tomber son stylo pour se retrouver à quatre pattes sous mon bureau.

Vision d'horreur qui me tire un frisson.

Je nous vois comme un tandem, mais si notre relation est strictement professionnelle, j'avais cru que nous avions depuis longtemps dépassé le stade des hésitations. Voilà dix minutes qu'il me jette des coups d'œil méfiants, comme s'il guettait le bon moment pour parler. Je ne le savais pas si timoré. Jusque-là, j'avais choisi de ne pas relever, supposant que quoi qu'il ait à me dire ou me demander, il finirait par se lancer. Toujours rien. À ce rythme-là, dans dix minutes, il va se lever, boutonner son veston, passer une main dans sa tignasse ébène puis me souhaiter un agréable week-end.

Devious BOSS | Œuvre intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant